40
produits responsables
de la croissance des dépenses
de médicaments remboursables
François
MORAND
15 mars 2001
Le
contexte actuel de dérapage des dépenses de santé pose plus que
jamais la question de la pertinence de l’ONDAM, l’ampleur du dépassement
étant chaque année plus importante (lire notre article :
la mort annoncée de l’ONDAM).
En effet, les dépenses d’assurance maladie de l’ensemble des régimes
de Sécurité sociale ont progressé de 6% l’année dernière, soit
bien plus que les 2,5% prévus initialement, et même plus que les
4,9% corrigés par le rebasage réalisé en septembre. Résultat : le
respect de l’objectif 2001 fixant une progression de 3,5% apparaît
déjà sérieusement compromis.
Le
boom des dépenses est dû en grande partie à la forte croissance
des dépenses de soins de ville, mais surtout des dépenses de prescriptions
de médicaments qui ont progressé de 11,9% en 2000. Une étude publiée
par la DREES en février 2001 (1) met
en avant, à son tour, un taux de croissance de 9,3% du chiffre
d’affaires des médicaments remboursés par la Sécurité sociale.
40 produits en forte croissance
Selon
cette étude, le chiffre d’affaires du médicament remboursable
s’élevait à 126 milliards de francs pour la période d’août 1999
à juillet 2000. De plus, le taux de croissance de ce chiffre d’affaires
sur les 2225 produits remboursables était de 9,3% par rapport
à la période d’août 1998 à juillet 1999.
Globalement,
il y a autant de produits ayant un taux de croissance positif
qu’un taux de croissance négatif, certains de ces taux dépassant
même les 50%. Ainsi, cette croissance générale ne peut pas s’expliquer
par une simple augmentation de la consommation globale, mais par
une croissance rapide d’un petit nombre de produits. Il ressort
ainsi que 40 produits sont responsables de près de la moitié
de la croissance annuelle du chiffre d’affaires, ce qui représente
à peine 2% de l’ensemble des produits répertoriés.
Ces
produits, possédant des caractéristiques communes, peuvent être
de trois types :
-
des
produits récents participant à des changements de prise en
charge thérapeutique, comme par exemple les inhibiteurs de
la pompe à protons qui remplacent les antagonistes H2,
-
des
produits répandus commercialisés de longue date, et dont la
part de marché est importante, tels que les produits contre
l’asthme ou les douleurs et fièvres,
-
des
produits se substituant à d’autres en déclin de la même classe
thérapeutique, tel le Plavixâ parmi les antiagrégants plaquettaires.
Une croissance concentrée sur quelques classes
thérapeutiques
Une
grande majorité des classes thérapeutiques ne contribue que très
faiblement à la croissance, puisque seulement 23 des 317 classes
existantes sont responsables des trois-quarts de cette croissance.
Pour la plupart de ces classes, la part de marché est importante.
Mais la contribution à la croissance provient à la fois du poids
de la classe dans le chiffre d’affaires, de l’apparition de produits
nouveaux et de la croissance des produits de plus d’un an, bien
qu’il existe des spécificités pour chacunes de ces classes.
Les
10 premières classes thérapeutiques expliquent plus de 5 des 9,3
points de croissance annuelle, malgré un poids variable dans ce
chiffre d’affaires annuel :
Des classifications rejoignant le cycle
de vie du produit
Les
disparités constatées entre ces classes thérapeutiques proviennent
de l’existence de profils différents. Ceux-ci découlent de la
combinaison de plusieurs facteurs comme la part des génériques,
la part des produits de moins d’un an, l’existence d’une concurrence
à l’intérieur d’une classe ou encore les caractéristiques médicales
ou administratives particulières.
Il est
ainsi possible de constituer des groupes comprenant chacun plusieurs
classes thérapeutiques :
-
Un
premier groupe comprend des classes participant fortement
à la croissance du chiffre d’affaires annuel (2,35 des 9,3
points de croissance), et dont les produits sont en phase
de démarrage, d’expansion forte (par exemple les inhibiteurs
de la pompe à protons). Ces classes sont notamment caractérisées
par une absence de génériques et une proportion élevée de
produits commercialisés depuis moins d’un an.
-
Un
deuxième groupe comprend des classes dont la contribution
à la croissance est élevée (1,8 des 9,3 points de croissance),
et pour lesquelles la prise en charge thérapeutique est relativement
récente (par exemple les inhibiteurs HMG-COA reductase). Cependant,
la gamme ne comporte ni génériques, ni produits de moins d’un
an, et le taux de substitution intra-classe est important.
-
Un
troisième groupe comprend des classes dont le marché est parvenu
à maturité, le taux de croissance annuel étant donc plus limité
(par exemple les antidépresseurs). Ce groupe est cependant
plus hétérogène que les autres, ces classes étant caractérisées
de façon plus ou moins variable par la présence de génériques,
de produits de moins d’un an et d’un taux de substitution
assez élevé.
-
Un
dernier groupe comprend des classes dont les médicaments sont
un apport important pour le renouvellement des prises en charge
thérapeutiques à prix élevés (par exemple les immunosuppresseurs).
L’essentiel de la contribution à la croissance de ce groupe
(0,7 des 9,3 points de croissance) provient de produits nouveaux
de moins d’un an.
A
contrario, il existe également un groupe comprenant des classes
dont le marché est en déclin, leur contribution à la croissance
étant nulle voire négative (par exemple les antagonistes récepteurs
H2). Ces classes représentent une part non négligeable du marché
pharmaceutique français (près de 8%), mais la concurrence des
génériques y est importante.
Tous
ces chiffres complètent ceux fournis par la CNAM
dans l’enquête MEDICAM
publiée dernièrement (lire l’interview de Pierre-Jean Lancry
à ce sujet). En outre, les médecins acceptent mal que cet envol
des dépenses de médicaments puisse leur être imputé, surtout face
à la maîtrise des dépenses qui leur est déjà imposée. Alors que
les nouveaux traitements viennent alourdir une facture déjà conséquente,
ils reprochent au gouvernement une politique du médicament frileuse.
Il faut
reconnaître que la marge de manœuvre est étroite, car il semble
difficile de demander de nouveaux efforts aux médecins et à l’industrie
pharmaceutique. Ainsi, seules quelques pistes peuvent être explorées :
des baisses de prix pour les médicaments à forte prescription,
des déremboursements décidés en fonction du service médical rendu
ou un développement du marché des génériques qui accuse un retard
important en France par rapport à certains de ses voisins européens
comme l’Allemagne.
De plus,
des voix s’élèvent pour contester le rôle réellement innovants
de certains des nouveaux médicaments mis sur le marché, les dépenses
engendrées pour ces produits ne se justifiant ainsi pas pleinement.
Les conclusions attendues de la commission de la transparence,
chargée depuis plusieurs mois de réévaluer l'ensemble de la pharmacopée
en fonction du service médical rendu, devraient en dire plus à
ce sujet. Peut-être faudrait-il se pencher sur cette problématique,
encourager économiquement les produits réellement innovants, et
pourquoi pas réfléchir à la façon de prolonger le marché des médicaments
dits « à maturité » qui sont généralement un peu laissés
de côté (lire l’interview de Jean-François Auffret à ce sujet
– mettre le lien sur « interview »).
En tout
état de cause, dans un contexte électoral peu propice aux décisions
politiques fortes, un immobilisme prolongé pourrait bien entraîner
un nouveau dérapage des dépenses de médicaments pour l’année 2001.
(1) «La croissance des dépenses de médicaments remboursables d’août
1998 à juillet 2000 » : Etude
et résultats n°102, février 2001, DREES.