Octobre
1999
Dr
Jean-Michel Hotton
Directeur
des Affaires Pharmaco-Economiques
Pfizer
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Propos recueillis par
Christine
Bouchet
6
octobre 1999
Vous étiez il y a peu responsable
du développement des essais cliniques chez Pfizer. En France, c'est
un des rares laboratoires à avoir tenté l'expérience des essais
cliniques en ligne. Quelles ont été vos motivations ?
Voici
le début d'un mémorandum que j'ai écrit le 23/01/97 pour présenter
mon projet d'étude clinique sur Internet et demander les budgets
correspondants : "L'ordonnance du 24 avril 1996 sur la maîtrise
des dépenses de santé précise (titre IV) les dispositions "nécessaires
à la mise en place d'échanges informatisés dont les finalités principales
sont de disposer d'une information plus riche susceptible de permettre
aux professionnels de santé de mieux évaluer leur pratique et de
moderniser la gestion de l'assurance-maladie".
"Au
31 décembre 1998, caisses et professionnels de santé devront être
ainsi en mesure de procéder à de tels échanges de données. A la
même date, chaque assuré social aura reçu une carte à puce (cartes
Vitale 1 puis 2) sur laquelle un certain nombre de données sera
inscrit. Les professionnels de santé qui s'engageraient avant le
31 décembre 1997 à télétransmettre bénéficieront d'actions d'accompagnement
(aide au financement). Au-delà du 1er janvier 2000, les médecins
qui ne procéderont pas à la télétransmission des feuilles de soins
acquitteront une contribution aux frais de gestions des feuilles
papiers."
Bien
sûr tout ceci a pris un retard considérable depuis cette date, mais
ma vision était celle d'une communauté médicale disposant de manière
quasi-systématique d'un micro, d'un modem et d'une ligne de communication.
Dans ces conditions, insérer l'activité "essais cliniques"
dans l'environnement informatique des médecins me semblait logique.
Par
ailleurs, l'outil Internet me semblait présenter des avantages majeurs
: rapidité d'acquisition et de contrôle de l'information, alerte
en temps réel en cas d'effet indésirable grave (EIG), possibilité
de constitution de la base de donnée très rapide, raccourcissement
massif du temps entre "last patient, last visit" et la
validation de la base et donc l'obtention des résultats, économie
en terme de saisie et diminution du risque d'erreur, ....
A votre avis, quelles ont été les principales difficultés rencontrées
pendant la mise en place de l'essai ?
Les
principales difficultés ont été :
-
d'obtenir un système de cryptage fonctionnel compatible avec les
exigences réglementaires ;
-
de faire fonctionner un cahier d'observation électronique qui présente
toutes les avantages que l'on peut attendre de l'utilisation de
l'outil informatique.
Pensez-vous que ces difficultés sont dues au fait que la technique
est nouvelle et les intervenants encore peu habitués à l'Internet,
ou qu'elles risquent de se représenter à l'avenir ?
Elles
sont manifestement liées à la nouveauté de la technique pour certaines,
mais elle ne sont pas à mes yeux totalement résolues pour d'autres.
Ainsi, les alertes automatiques en cas d'EIG ne sont pas fonctionnelles
alors que pour un néophyte, rien au plan conceptuel ne semble s'y
opposer. Dans le même ordre d'idée, l'utilisation de bases de donnée
(Vidal, etc.) doit être systématisé en multipliant les vérifications
internes lors du remplissage du cahier par l'investigateur.
Par
ailleurs, dans l'étude que nous avons réalisé ensemble, nous avons
équipé l'ensemble des investigateurs avec un matériel prédéfini.
Dans l'avenir, et si l'informatisation du corps médical finit par
se faire... il faudra que l'ensemble puisse fonctionner sur des
matériels relativement différents, ce qui, j'imagine, peut encore
poser des problèmes et nécessiter une assistance très personnalisée
auprès des investigateurs.
A
ce stade, quelle est votre impression : est-ce une expérience intéressante
mais dont les bénéfices sont plutôt faibles, ou pensez-vous au contraire
que les avantages de la procédure sont importants ?
Nous
avions choisi pour cette première tentative une étude qui ne soit
pas critique pour notre firme. Compte tenu des retards qui se sont
accumulés pour diverses raisons, c'était a posteriori un bon choix.
A ce jour, je qualifie cette expérience d'intéressante dont les
bénéfices sont faibles. Je reste cependant persuadé que les bénéfices
évoqués plus haut existent bel et bien, mais qu'ils ne peuvent encore
être obtenus du fait de l'immaturité du domaine.
Quelle sera votre attitude pour la suite : encouragerez-vous
la mise en place de nouveaux essais en ligne ? Vous orienterez-vous
plutôt vers des phases III, des phases IV, ou des études
de type épidémiologiques ?
Il
me semble indispensable que les essais sur Internet deviennent plus
matures et plus fiables. Autrement dit, à ce jour, les procédure
opératoires en place pour ce type d'essais ne garantissent pas encore
la qualité du résultat. De plus, il faudrait discuter avec les autorités
(AFSSAPS, EMEA) les modalités d'acceptabilité de résultats issues
d'études réalise de cette manière. Tant que cette situation persistera,
il sera donc difficile de faire des essais pré-AMM. Au delà du problème
de la qualité, qui reste vrai pour tous les types d'études, les
problème de l'acceptabilité par une agence d'enregistrement se pose
moins pour des essais de phase IV ou des études épidémiologiques.
Néanmoins, comme évoqué plus haut, au delà de la faisabilité technique
(matériels chez les investigateurs et fonctionnalités du CRF électronique)
il est nécessaire d'entourer ces essais de toutes les procédures
opératoires adéquates pour en garantir la qualité.
Quelle est la position du laboratoire Pfizer à ce sujet ? Quelle
est celle des laboratoires pharmaceutiques et des CROs en général ?
Globalement,
les firmes ne souhaitent pas prendre de risque avec ce qui constitue
la base de leur survie : les études deviennent des dossiers d'AMM
qui deviennent des médicaments que l'on vend. La démarche est donc:
montrez nous que cela fonctionne et que c'est fiable et on suivra.
Quant aux CROs, certaines commencent à proposer ce type d'activité
(Lincoln par exemple) et je pense que leur intérêt est de mettre
en place tous les services que j'évoquais plus haut. C'est en effet
la première fois que les CRO ont la possibilité d'avoir une compétence
et un savoir-faire que les industriels n'ont pas encore décidé d'acquérir
en interne de manière systématique.
Aux Etats-Unis, la tendance actuelle est le recrutement des patients
pour les essais thérapeutiques sur les sites Web destinés aux grands
publics (CenterWatch, DrKoop...). Pensez-vous que ce modèle puisse
être importé en Europe ?
Le
principal obstacle me semble être d'ordre réglementaire, et ce modèle
ne me semble pas importable en France tant que nos lois resteront
ce qu'elles sont. La question de fond qui se pose est la suivante:
au profit de qui (le patient, l'investigateur/industriel) cet appel
aux patients se fait ? La recherche clinique aux USA est très centralisée:
quelques grands centres (8 ou 10) font un essai en incluant chacun
entre 100 et 200 patients. De ce fait, le "rabattage"
des patients est indispensable, tant pour les investigateurs que
pour les patients eux-mêmes, encore qu'il s'agisse de thérapies
non validées et qu'un avantage déterminant pour le patient n'existe
que dans des domaines thérapeutiques non couverts. En France, on
pratique bien davantage le saupoudrage, et le nombre de centres
participants est beaucoup plus important, rendant moindre (mais
pas inutile) ce besoin. J'imagine par ailleurs que vous avez des
profils d'utilisateurs du net, et je ne sais si on y retrouve aujourd'hui
en France beaucoup des patients que nous recherchons pour les essais
cliniques. Soit nous sommes en face d'une pathologie rare, et les
associations de patients sont très efficaces et structurées, l'information
circulant facilement en leurs seins (exemple mucoviscidose), soit
d'une pathologie fréquente, auquel cas il n'est pas difficile pour
les patients de trouver des centres investigateurs. Reste le cas
du médicament innovant.
Pensez-vous qu'il soit intéressant pour les laboratoires de disposer
de panels de médecins informatisés ? Quelles sont les voies
de développement à envisager dans ce domaine ?
Normalement
il devrait déjà tous l'être....
Plus
que de médecins informatisés, il serait intéressant d'avoir des
panels de médecins réellement utilisateurs de l'outil, avec étude
de biais par rapport à la population générale de médecins.
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octobre 1999
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