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Benoît Dardelet
Sociologue à France Télécom R&D


" Le projet Teledec : la vidéo au secours de l'urgence "


Propos recueillis par Hervé Nabarette

24 avril 2001

 Comment les urgences sont-elles organisées en France ?

Les urgences françaises telles que nous les connaissons sont de conception assez récente. Leur organisation est fondée sur une centralisation des appels au plan national par un numéro unique : le 15 pour le SAMU, le 18 pour les sapeurs-pompiers. Si ce mode de fonctionnement est relativement nouveau, c'est simplement parce qu'une partie importante des activités d'urgence a pendant longtemps été assumée par les sapeur-pompiers seuls. En fait, pour préciser ce trop rapide historique, il y a eu une étape de transition qui fut Police-Secours, déjà des équipes spécialisées mais détachées de la police. Depuis la mise en place des équipes médicales du Samu, d'abord en 1967 à Toulouse par son fondateur, le Professeur Lareng (voir l'interview du Professeur Lareng), puis en 1972 sur Paris et sa région, avant extension au reste de la France, la séparation s'est faite sur la question médicale: tout ce qui ne demande pas une intervention médicale est géré par les sapeurs-pompiers seuls, tandis que les urgences à caractère médical sont prises en charge par le couple sapeurs-pompiers - SAMU.

Dans ce dernier cas de figure, les pompiers se déplacent et font un descriptif de la situation, le bilan. L'information est transmise à la fois au centre des sapeurs-pompiers pour rendre compte de l'intervention et au centre du Samu pour une demande de collaboration et de prise en charge de l'urgence médicale. Par exemple, dans le cas d'un carambolage sur route, les sapeurs-pompiers sont appelés et ils alertent en même temps les équipes du Samu. Il n'y aura peut-être pas d'intervention médicale à faire, mais le Samu est prévenu. Si le bilan des sapeurs-pompiers le demande, les ressources des médecins du SAMU seront déployées.

Outre la dualité sapeurs-pompiers-SAMU, la seconde particularité française vient du mode d'action. Il s'agit de déplacer une équipe sur le lieu de l'accident et d'y faire un premier diagnostic, avant de ramener l'accidenté vers le centre de soins. Cette équipe ne se déplace que suite à un "classement des moyens", c'est-à-dire une analyse de la nature de l'intervention, et des moyens adéquats. Il s'agit d'une particularité, car le modèle anglo-saxon propose de ramener les personnes accidentées le plus rapidement possible (Golden Hours) vers le centre pour les y soigner. Par ailleurs, le modèle anglo-saxon utilise toujours le même type d'équipes, quel que soit l'appel, sans "classement des moyens". Il fait primer la rapidité de déplacement et de rapatriement.

 Vous avez participé au projet expérimental Teledec, qui consiste à ajouter de la vidéo dans la gestion de l'urgence. D'ou vient ce besoin de vidéo ?

L'expérimentation en cours permet de prendre en compte un "dysfonctionnement" qui se manifeste parfois dans la communication entre sapeurs-pompiers et SAMU. Dans certaines circonstances, qui concernent peu de cas mais peuvent s'avérer problématiques, le mode de transmission d'information des sapeurs-pompiers sur le terrain vers le centre du SAMU n'est pas satisfaisant : les médecins régulateurs du SAMU parviennent mal à diagnostiquer la situation à distance à partir du bilan. Notre expérimentation, suite à une demande conjointe des sapeurs-pompiers et du Samu de Corbeil-Essonne, a alors cherché à compléter l'information véhiculée habituellement (voix) par l'utilisation de l'image, principalement sous forme de vidéo. Ce qui montre au passage que de telles collaborations sont possibles entre ces corps de métier.

 En quoi consiste précisément le projet ? Sur quels fondements techniques repose-t-il ?

Le projet vise à apporter de nouveaux moyens au travail collaboratif des professionnels de l'urgence, médecins régulateurs du Samu et sapeurs pompiers. Il s'agit d'améliorer le diagnostic médical à distance et la gestion des véhicules déplacés grâce à la transmission d'images vidéo en temps réel, entre le site d'intervention des véhicules pompier et le centre de secours du SAMU. Pour la première fois, les médecins régulateurs pourront avoir accès à des images de l'intervention afin de compléter le bilan des sapeurs-pompiers, et les sapeurs-pompiers pourront recevoir un appui des médecins dans leur intervention.

Nous devions répondre aux besoins d'un sapeur-pompier qui se trouve en déplacement permanent, sous diverses conditions climatiques, qui doit avoir une autonomie de mouvements, parfois dans des situations "extraordinaires". Le système devait aussi convenir aux médecins régulateurs qui se trouvent à distance. Le système adopté est composé de trois parties. Le premier élément porte sur la prise d'image, qui se fait grâce à une sorte de gilet intégré dans l'équipement du sapeur pompier. A l'autre extrémité, chez les médecins régulateurs, le signal est reçu sur la plate-forme et traité sur ordinateur. Il s'intègre dans le dossier informatisé du Samu, qui pourra désormais contenir une séquence vidéo, ou de simples images. Entre les deux, la communication repose sur un développement technique spécifique de canaux cellulaires multiplexés. Pour simplifier, l'on utilise des lignes GSM pour en former une plus importante et assurer la capacité nécessaire. Les réseaux GSM sont aujourd'hui utilisés, mais l'on prévoit une évolution sur GPRS. Cette technique autorise un débit suffisamment important et sécurisé, et évite des "coupures" dans les transmissions. Le son et l'image sont traités au format MPEG4. D'autres données que l'image pourraient plus tard être ajoutées.

 Les questions d'ergonomie n'ont pas été négligées… pouvez-vous nous en parler ?

C'est bien sûr une partie importante. Nous travaillons avec des professionnels qui sont soumis à de fortes contraintes. L'appareil doit être facilement manipulable, sous la pluie, avec des gants. D'une manière générale, il ne doit pas ajouter de contrainte supplémentaire. Il doit représenter une aide réelle durant l'activité, pas une simple idée à tester en situation. Tout un travail de réflexion avec le corps des sapeurs pompiers a été réalisé afin de dessiner l'équipement le plus approprié. Même chose avec les médecins régulateurs du SAMU, en ce qui concerne la réception de l'image dans leurs locaux. C'est le GRIC (Groupe de Recherche en Ingénierie Cognitive), le laboratoire d'ergonomie de Toulouse, quatrième partenaire du projet (et son coordinateur), qui a pris en charge cette partie de l'étude. Cependant, c'est surtout sur le plan organisationnel que les promoteurs du projet ont travaillé. Le changement dans les moyens de communication a demandé de définir de nouvelles "routines" de travail. C'est la partie qui a demandé le plus de travail de recherche, tant pour les professionnels de l'urgence que les ergonomes du GRIC et les ingénieurs et sociologues de France Telecom R&D.
Un travail intéressant a aussi consisté à imaginer le meilleur moyen de prendre les images. Par exemple, la situation où le sapeur pompier était un simple porte caméra du SAMU façon "Robocop" n'est pas apparue comme efficace. Par contre ajouter " l'œil du médecin " afin d'épauler les choix des sapeurs pompiers a semblé le plus pertinent.

 Tous les acteurs sont associés à l'expérimentation et à son évaluation…

Effectivement, et c'est une des prouesses du programme. Se trouvent réunis à la même table, les représentants du Samu, des Sapeurs pompiers, des chercheurs de France Telecom R&D, le laboratoire GRIC et l'industriel EBS qui fait l'intégration et le développement matériel. D'autre part, nous faisons régulièrement des présentations de l'avancé du programme aux parties concernées, sapeurs-pompiers et médecins régulateurs. Ils participent aussi aux tests et font leurs commentaires, sur le dispositif, ses conséquences organisationnelles…

 Au final, qu'apparaît-il : la vidéo obtient-elle des résultats plus efficaces ? La vidéo apparaît-elle utile dans certains cas uniquement (ceux où les défauts d'information sont avérés aujourd'hui) ou dans la plupart des cas ?

Il apparaît que l'information peut être plus riche et mieux transmise, que la meilleure compréhension peut permettre de diminuer le temps de négociation entre professionnels, et que les erreurs de compréhension peuvent s'amenuiser lors des interventions. Mais il est impossible à ce stade de préconiser un usage généralisé. N'oublions pas que ce dispositif est un complément. Il convient de comprendre dans quelles situations les intervenants ressentent le besoin d'user de la vidéo. D'autre part, l'utilisation de cette innovation n'est pas indépendante de l'organisation de l'activité. Dans notre cas, elle s'appuie sur une collaboration déjà ancienne entre sapeurs-pompiers et SAMU.

 Y a-t-il des projets semblables dans d'autres pays, ou certains systèmes d'urgence en vigueur utilisent-ils déjà la vidéo ?

Les urgences ont longtemps été des précurseurs dans l'utilisation de nouvelles technologies. Les premières à utiliser la radio HF, avec des échographies transmises à distance dès 1966 ! Curieusement, les évolutions techniques actuelles, les NTIC ou la E-santé, n'ont été appliquées que de manière marginale, sans que l'on puisse parler de E-Urgence. Et ceci se retrouve dans tous les pays, quelque soit le mode d'organisation des urgences …

Par rapport aux autres programmes existants, Teledec se distingue de deux façons. D'une part, l'équipement est porté par l'acteur en personne et non par les véhicules de secours, ce qui est le choix des autres projets, et ce qui est d'ailleurs plus coûteux. D'autre part, il sert au moment du diagnostic à distance, et pas pour le suivi de toute l'intervention.

 Le besoin d'enrichir la communication vient de l'absence de personnel médical chez les pompiers. Ne serait-il pas plus efficace que les pompiers puissent eux-mêmes organiser la suite médicale de l'urgence, comme le fait le SAMU ?

J'ai posé la question aux personnes directement concernées. La réponse est non, pour deux raisons. Tout d'abord, d'un point de vue économique, il est plus rationnel et efficace que les équipes spécialisées pour l'urgence ne se déplacent que pour les situations d'urgence. Le second argument en découle logiquement : l'expérience et la capacité de chacun sont enrichies par la spécialisation. Certaines équipes apprennent à rendre compte de la situation, d'autres à faire un diagnostic à distance.

 L'organisation des urgences connaît-elle aujourd'hui des évolutions notables ?

Le 112 représente la prochaine plate-forme gestionnaire de l'urgence. Celle-ci regroupera toutes les entités travaillant pour l'urgence sous un numéro unique, entraînant progressivement une disparition des numéros 15 et 18 et donc des centres d'appels séparés. Cela sera une activité européenne et donc plurilingue. Une forme est déjà opérationnelle, accessible par le numéro 112 sur un téléphone cellulaire. L'appel sera analysé pour déterminer la nature des ressources à déployer. Le contexte français et notre expérimentation nous permettent d'appréhender ce que pourront être les modes d'organisation et les modalités de communication entre professionnels dans un proche avenir, avec une pointe de technicité en plus…



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