L'Affaire Perruche en question
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Burger/Phanie
Nathalie BESLAY
3 avril 2001
L'affaire Perruche fait partie de ces affaires qui défrayent
les chroniques juridiques et interpellent l'opinion publique. Afin
d'apprécier la portée d'une décision de justice
dans un climat dépassionné, il est préférable
d'en distinguer les éléments constitutifs. Quels sont
les faits ? Quelle est la procédure engagée ? Et enfin
quelle est la solution et ses conséquences au regard du droit
applicable ?
L'analyse est d'autant plus délicate lorsqu'au-delà
du droit elle se teinte d'une forte coloration éthique.
La
simplicité des faits
Présentant
les mêmes symptômes que sa fille, susceptible d'avoir
contracté la rubéole, Madame Perruche, enceinte, consulte
son médecin traitant. Elle l'informe de sa volonté
d'interrompre sa grossesse au cas où le diagnostic de la
rubéole serait confirmé.
Une première analyse est réalisée. Le résultat
est négatif. Quinze jours plus tard le même laboratoire
d'analyse renouvelle le test qui se révèle cette fois,
positif. Face à ces prélèvements contradictoires,
le laboratoire d'analyse procède à une analyse de
contrôle de l'échantillon prélevé initialement.
Le résultat du test de contrôle du premier prélèvement
révèle cette fois la présence d'anticorps.
Conformément aux "données acquises de la science",
si les deux tests sont positifs consécutivement, il s'agit
de la trace d'une ancienne rubéole sans risque pour l'enfant
à naître ; si au contraire le premier test est négatif
et le second est positif, cette évolution révèle
la présence d'une rubéole en cours avec un risque
majeur pour l'enfant à naître.
Le 14 janvier 1983, Mme Perruche donne naissance à Nicolas
qui présente un an plus tard la plupart des manifestations
du syndrome de Gregg ayant pour origine une rubéole congénitale
contractée pendant la vie intra-utérine.
Une
longue procédure de dix ans
Les
parents de Nicolas assignent le médecin traitant, le laboratoire
d'analyse et leurs assureurs respectifs sur la base d'un rapport
d'expert judiciaire.
Dans son jugement du 13 janvier 1992, le Tribunal de Grande Instance
d'Evry rend le praticien et le laboratoire responsables de l'état
de santé de l'enfant et les condamne in solidum pour la même
cause, au titre de la faute commise dans les opérations de
contrôle du premier résultat. En effet, il est acquis
que ces opérations de contrôles se sont révélées
défaillantes en laissant croire à Madame Perruche
que les traces d'anticorps provenaient d'une ancienne maladie, alors
que sa rubéole était en cours pendant sa grossesse.
Le médecin fait appel de cette décision considérant
que seul le laboratoire d'analyse médicale était responsable.
Ce dernier, sans remettre en cause la reconnaissance de sa faute,
conteste uniquement le partage de la responsabilité.
Dans
un arrêt du 17 décembre 1993, la Cour d'Appel de Paris
saisie par le médecin traitant, déboute celui-ci de
sa demande au motif que le médecin et le laboratoire de biologie
médicale avaient commis des fautes contractuelles à
l'occasion de recherche d'anticorps de la rubéole chez Madame
Perruche. Ainsi selon la Cour, Madame Perruche devait être
indemnisée dès lors qu'elle avait émis le souhait
d'interrompre sa grossesse au cas où elle aurait contracté
la rubéole. Les fautes commises lui ont laissé penser
à tort qu'elle était immunisée contre la maladie.
En revanche, la Cour d'Appel infirme le jugement du TGI concernant
le préjudice de l'enfant. Selon la Cour, le préjudice
subi par l'enfant n'est pas en relation de causalité avec
les fautes commises. En effet, pour la Cour d'Appel "le fait
pour l'enfant de devoir supporter les conséquences de la
rubéole faute pour la mère d'avoir décidé
une interruption de grossesse ne peut, à lui seul constituer
pour l'enfant un préjudice réparable".
Les
époux Perruche se pourvoient en cassation.
Dans
un arrêt du 26 mars 1996, la Cour de Cassation donne raison
aux époux, déclarant que " les fautes étaient
génératrices du dommage subi par l'enfant du fait
de la rubéole de sa mère ", elle casse l'arrêt
de la Cour d'Appel de Paris. L'affaire est renvoyée devant
la Cour d'Appel d'Orléans qui, dans un arrêt du 5 février
1999 infirme à nouveau l'arrêt de la Cour de Cassation
en réitérant les motifs retenus par la première
Cour d'Appel : le préjudice de l'enfant n'est pas de lien
de causalité avec les fautes du médecin et du laboratoire
d'analyse médicale.
Les
époux Perruche se pourvoient une nouvelle fois en cassation.
L'Assemblée
Plénière, dans un arrêt du 17 novembre 2000,
casse l'arrêt de la Cour d'Appel d'Orléans au visa
des articles 1165 et 1382 du code civil. Elle énonce que
"dès lors que les fautes commises par le médecin
et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés
avec Madame Perruche avaient empêché celle-ci d'exercer
son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance
d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation
du préjudice résultant de ce handicap et causé
par les fautes retenues."
Des
arguments juridiques classiques à fort impact éthique
L'impact
de l'arrêt rendu le 17 novembre 2000 par l'Assemblée
Plénière est double : il s'agit d'une réponse
juridique fondée sur la responsabilité contractuelle
en matière médicale, réponse juridique à
forte dimension éthique.
En effet, cet arrêt s'il repose le débat désormais
classique de la problématique de l'identification du lien
de causalité entre la faute et le dommage, et de son application
au " contrat de soins ", pose plus brutalement la délicate
question de l'indemnisation de l'enfant né avec handicap,
dont la seule voie d'évitement possible, aurait été
l'avortement.
Cette question a déjà été foulée
à l'occasion de contentieux nés à la suite
d'interruptions volontaires de grossesse (IVG) " ratés
". C'est-à-dire ayant été suivi, malgré
l'intervention, d'une naissance. En effet, le Conseil d'Etat d'abord
(2 juillet 1982), puis la Cour de Cassation (25 juin 1991) ont tour
à tour rejeté les demandes de réparation introduites
par des mères pour lesquelles les avortements s'étaient
néanmoins suivis de naissance : le refus catégorique
de l'indemnisation du " bébé préjudice
". Ces décisions sont intervenues alors que les enfants
nés étaient en pleine santé.
En
revanche, des parents ont été indemnisés (3
février 1993) du préjudice subi du fait de la privation
de la possibilité de recourir à une interruption de
grossesse. Les médecins n'ayant pas procédé
aux examens requis par lesquels les malformations de l'enfant à
naître auraient pu être découvertes. Ces parents
ont été indemnisés de la privation de l'exercice
de " l'alternative vie handicapée ou IVG " (La
semaine juridique N°50 Déc 2000).
En l'espèce, la Cour caractérise le lien de causalité
entre le fait générateur de responsabilité
et le préjudice. D'une part, les fautes n'ont pas permis
à la mère " d'éviter la naissance d'un
enfant atteint d'un handicap ", alors qu'elle avait annoncé
à son médecin sa volonté d'interrompre sa grossesse
au cas où elle aurait contracté la rubéole.
Ce premier élément est donc conforme à la jurisprudence
citée ci-dessus. D'autre part, selon l'Assemblée Plénière,
ce sont bien les fautes commises par le médecin et le laboratoire
d'analyse qui ont causé le handicap. En effet, selon la Cour
" les fautes étaient génératrices du dommage
subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère
".
Cette
affirmation est contestable au plan strictement médical car
seule la rubéole contractée par la mère avant
les consultations médicales, est la cause directe et immédiate
du handicap.En réalité, la responsabilité des
praticiens peut être engagée car ils ont été
impliqués dans le système ayant entraîné
le handicap de l'enfant.
Cette
décision permet de s'interroger sur l'évolution de
la responsabilité des médecins du fait de la naissance
d'un enfant : au plan strictement juridique on assiste à
un renforcement de leur responsabilité, qui se rapproche
d'une responsabilité du fait du dommage et non de la faute.
L'indemnisation de l'enfant du fait de sa naissance avec un handicap
est-elle éthiquement acceptable ? C'est effectivement précisément
la faute dont il demande réparation, qui une fois commise
lui a permis d'accéder à la vie, en écartant
l'IVG. Le principe fondamental de respect de la personne peut sembler
en effet s'opposer à ce qu'une personne dont l'acte a "
causé " la vie à autrui soit poursuivi de ce
fait. A contrario admettre la réparation du préjudice
subi par les parents en excluant la réparation du préjudice
subi par l'enfant n'était-ce pas hypocrite et juridiquement
intenable ?
Le
seul enjeu qui mérite débat dans ces affaires est
bien la protection de la dignité de la personne. Peut-on
considérer que le respect de la personne est entier lorsque
le refus de l'indemnisation maintient les personnes concernées
par le handicap (l'enfant et les parents) dans une situation matérielle
inadéquate à leur situation, et donc préjudiciable
à leur vie ?
Le
préjudice subi par les victimes doit donc être indemnisé,
non en raison de la vie, mais des dommages subis par les personnes
en vie.
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