Dr
Anne-Marie Soulié,
Présidente du Syndicat National
des Médecins de Groupe (SNMG)
« Toutes
les difficultés que nous avons rencontrées lors de ces expérimentations
m’ont fait prendre conscience du fait que le système de santé
actuel est antinomique avec le fonctionnement en réseau. Il
est véritablement impossible de fonctionner en réseau. » |
8
novembre 2000
Propos
recueillis par Gaëlle
LAYANI et Mathieu
OZANAM
Le SNMG est très impliqué dans la promotion de réseaux. Pouvez-vous
nous parler de vos différents projets ?
Le
SNMG travaille sur les réseaux depuis à peu près une dizaine d'années.
Nous avons vu dans le plan Juppé une occasion à saisir, une fenêtre
ouverte en quelque sorte. Nous avions la possibilité de finaliser
notre concept de réseau de santé. A ma grande surprise, six projets
étaient partants pour tenter l'expérience. C’était sans doute trop.
J’aurais peut-être du faire un choix à ce moment-là. Sur ces six
réseaux, un seul était thématique (réseau de soins palliatifs
sur Paris), les cinq autres étant ce que nous avons appelé des réseaux
globaux d’exercice. L’idée du réseau global d’exercice part du constat
suivant : si l’on veut réellement travailler en réseau, l’approche
“ monopathologie ” n’est pas la plus adaptée, car cela
correspond à une partie limitée de la clientèle d’un professionnel
de santé. Ce faisant, l’exercice en réseau n’influera que peu sur
sa pratique. A l’époque, en 1996, nous étions les seuls à tenir
ce discours.
Pour développer
ce type de démarche, nous avions besoin d’être financés. Or, il
y a quatre ans, aucun financement public n’était prévu. Nous avons
cherché une source de financement privée. Nous étions bien conscients
des risques, ce qui ne nous a pas empêchés de tomber dedans. Dans
le cadre de l’une de nos expérimentations, le réseau de Lens, nous
pensions qu’il était trop dangereux de se mettre par trop pieds
et poings liés avec un financeur privé. Nous n'avons pas pu mettre
au point un partenariat avec la société Médéric, permettant d'assurer
jusqu'au bout le respect de l'éthique et de la philosophie du projet
notamment en ce qui concerne les patients et les professionnels
de santé. Le chef de projet du réseau, le Dr Breban, a pensé
différemment. Cela s’est terminé par un divorce. L’avenir nous dira
lequel était dans l’erreur, si erreur il y a eu.
Pour les
cinq autres projets, nous n’avons pas pu passer juste au début,
lorsque la Commission Soubie s’est mise en place, car nous avons
rapidement été débordés par des problèmes de paperasserie (rédaction
du dossier, etc.). Ensuite, la Commission Soubie est devenue l’usine
à gaz que nous connaissons, qui est un bon moyen de stériliser toute
initiative pour peu qu’elle ne vienne pas de groupes possédant un
financement autonome, tels que Groupama, CPL, etc.
Nous avons
deux réseaux en bonne phase de finalisation : le réseau de
Forbach et le réseau de Paris sur les soins palliatifs. Ils vont
tous les deux vraisemblablement bénéficier du FAQSV. Deux autres
réseaux sont en sommeil, ce qui n’empêche cependant pas les acteurs
de ces réseaux de continuer à travailler sur le terrain.
Notre
dernier projet part du constat suivant : les réseaux se développent
presque toujours dans les bassins de population importants, donc
en ville. Or, s’il y a des zones où l’exercice en réseau est une
nécessité, ce sont les zones rurales. Nous avons donc décidé de
monter un réseau régional en Limousin. Toutefois, cette idée se
heurte à des impératifs techniques liés à l’informatique et au dossier
partagé compte tenu des distances. Le lancement du réseau a d’ailleurs
plusieurs fois été contrecarré. Nous allons cependant déposé un
dossier FAQSV.
Toutes
les difficultés que nous avons rencontrées lors de ces expérimentations
m’ont fait prendre conscience du fait que le système de santé actuel
est antinomique avec le fonctionnement en réseau. En premier lieu,
on ne pourra pas travailler en réseau tant que l’on aura pas avancé
sur les problèmes de rémunération des professionnels de santé participant
à ces expériences. Il faut mettre les zones expérimentales sous
cloche, en quelque sorte, en leur imposant des engagements et un
mode de fonctionnement qui s’éloignent du système de santé actuel,
notamment en termes de rémunération mais pas uniquement. Je ne sais
pas si c’est possible. Plusieurs expérimentations sont en cours,
sachant que la plupart des réseaux agréés ne sont pas des réseaux
globaux mais thématiques. A mon avis, ce ne sont pas de véritables
réseaux, mais un début d’organisation en réseau. Aujourd’hui, la
démarche réseau est dans une impasse, car ce qui est demandé aux
impétrants ne relève pas de leurs compétences. Je pense, par exemple,
à l’évaluation. Comment voulez-vous qu’un médecin fasse l’évaluation
d’un réseau ? Ce n’est pas son travail. On marche un peu sur
la tête. De plus, il n’existe pas de réelle volonté politique. Les
réseaux de soins supposent très clairement une réorganisation du
système de santé.
Si je vous comprend bien, l’exercice en réseau
risque de demeurer une belle utopie, avec des initiatives locales
intéressantes, mais qui ne sont pas appelées à se généraliser.
Tout
à fait. Je ne suis pas sûre que la santé intéresse réellement les
politiques, en dehors des effets d’annonce. Si l’on attend d’avoir
une véritable politique de santé en France, on risque d’être chenu
avant que les choses avancent. Comment sortir de cette impasse ?
Il y a trois acteurs : les professionnels de santé, les institutionnels
et les usagers. Nous pensons qu’il n’y a pas de réseau sans implication
des patients. Eux aussi doivent donner leur vision du problème,
qui n’est pas forcément la même que la vision du professionnel de
santé. Dans une expérience précédente, nous avons intégré les usagers
dès la genèse du projet, ce qui a expliqué son succès. Les patients
se sont appropriés l’expérience. Ce n’est rien de plus que l’application
de la démarche qualité, qui suppose que l’on répondent aux besoins
explicites et implicites des patients. Or, l’organisation en réseau
permet d’améliorer la qualité des soins dispensés.
N’êtes vous pas en train de nous décrire un
système qui offre beaucoup de similitudes avec les HMO américains ?
C’est un peu le marché qui s’immisce dans la relation médecin-patient.
Non.
Il existe une différence fondamentale. Dans les HMO, le patient
n’a pas le choix. Les HMO ont des effets pervers tels que des contre-initiatives
se sont créées, certaines d’ailleurs à l’initiative des patients.
La réflexion sur les réseaux doit prendre en compte ces effets pervers.
Il ne s’agit pas de demander au patient de s’affilier à un réseau
ou non, mais de l’impliquer réellement dans la genèse, la gestion
et les modes opératoires. D’ailleurs, depuis six mois, les associations
d’usagers sont de plus en plus sollicitées. Profitons un peu de
ce qui se passe actuellement pour exercer une force de pression
plus intelligente que les grèves ou le lâchage de souris dans les
CPAM.
Etes-vous tout de même plutôt optimiste pour
l’avenir ?
Je
ne dirais pas cela. Je pense que rien n’est figé. Rien n’est perdu,
mais le système de santé risque de devenir un “ business ”,
un marché. Il reste une marge de manœuvre, mais qui n’est pas très
importante au regard des enjeux et de la puissance du marché. Nous
avons cependant une carte à jouer avec les usagers et avec tous
ceux qui aspirent à ce que le système de santé retrouve un fonctionnement
plus efficient.
On
a un peu l’impression que votre syndicat est l’un des seuls à vouloir
impliquer autant les usagers.
Les
usagers font peur. C’est une révolution culturelle. Lorsque nous
avons impliqué des usagers en 1985, les caisses ont crié au scandale
même si elles ont été par la suite les premières à s’en réjouir.
Les médecins, également, voient d’un mauvais œil le fait que des
usagers viennent s’asseoir à leur table pour discuter des référentiels
dans les conférences de consensus, par exemple.
Certes,
la relation entre usagers et médecins ne sera jamais égalitaire
en termes de savoir, mais je pense que les praticiens ont beaucoup
à apprendre des usagers.
Pourquoi ne pas avoir présenté de candidats
lors des dernières élections aux URML ?
La
raison est simple. On a reproduit dans les unions les divisions
syndicales. On gaspille son énergie dans des luttes de pouvoir.
Il faut constamment se battre contre un immobilisme et une force
d’inertie considérables. Il n’est pas question de laisser s’engluer
les énergies dans ce genre de combats d’arrière-garde. J’ai été
fortement sollicitée pour présenter des listes d’union avec d’autres
syndicats, y compris verticaux, mais j’ai catégoriquement refusé.
Donc, selon vous on retrouve la balkanisation
du paysage syndical au sein des unions ?
Tout
à fait. On a perverti ce qui aurait pu être un outil formidable.
Lorsque j’étais à la CSMF, j’ai beaucoup milité avec d'autres pour
que les unions ne soient pas seulement ouvertes aux seuls syndicats
représentatifs de médecins, mais à l’ensemble des professions de
santé pour peu que les listes respectent un certain nombre de critères.
Des associations de FMC auraient pu, par exemple, nouer des alliances
pour présenter des listes qui correspondent à quelque chose. Je
pense que l’on a craint que les unions ne remplacent les syndicats.
La balkanisation limite de façon considérable l’influence, l’efficacité
et le travail des unions.
Comment remédier à cette balkanisation ?
Le
syndicalisme représentatif s’est discrédité ces dernières années
aux yeux des médecins, mais également aux yeux de l’ensemble du
monde médical, bien que l’on retrouve des gens de valeur dans tous
les syndicats. Aujourd’hui, le syndicalisme a une attitude suicidaire.
La CSMF, qui a recueilli la majorité des suffrages (certes, sur
l’ensemble des médecins, un médecin sur deux ne s'est pas exprimé)
pourrait être une force de propositions. Toutefois, ce n’est pas
en disant non tout le temps que l’on fait avancer les choses.
Pour supprimer
la division syndicale, il faut qu’il y ait réellement un courant
de propositions en direction des médecins. On n’exerce plus la médecine
en l’an 2000 comme on l’exerçait il y a vingt ans.
Pour
gagner aux élections, on a l’impression qu’il faut tout le temps
être contre. Aux premières élections, MG-France, qui avait refusé
de signer la convention, avait réalisé un bon score contrairement
à la CSMF, qui elle avait accepté.
Tout
à fait. C’est désespérant. Certes, on peut être élu sur un vote
contestataire puis faire des propositions constructives par la suite.
Cependant, je doute fort que la CSMF ait cette attitude.
Que pensez-vous de la refondation partenariale
proposée par la CSMF ?
La
langue de bois n’est pas ma tasse de thé. Tout ça, c’est du pipeau.
Il faut réellement rechercher un consensus avec les différents acteurs
(conseil de la CNAM, syndicats ouvriers et médicaux). C’est en allant
chercher les différents syndicats que l’on peut avancer. Je crains
que cette refondation ne soit de la langue de bois, de la gestion
d’appareil. Je suis persuadée que l’on ne fera pas avancer le système
de santé de cette manière.
Trouvez-vous
que les informations médicales à destination du grand public soient
de bonne qualité ?
Oui,
certaines informations sont de bonne qualité, mais d’autres sont
obsolètes. Or, les gens n’ont pas toujours les moyens de faire la
différence entre les informations de bonne et de mauvaise qualité.
La question de la validation de ces informations se pose donc ainsi
que celle de la garantie de leur validation.
J’avoue
que, moi médecin, j’ai appris des choses sur certains sites grand
public, notamment canadiens. De plus, Internet a l’avantage d’obliger
les médecins à se remettre en cause, à reconsidérer leurs relations
avec les patients. A mon sens, ce n’est qu’un début. J’exerce au
fin fond de la campagne, et pourtant, il m’arrive de correspondre
par mail avec certains de mes patients. Le risque, évidemment, c’est
le consumérisme à l’américaine.
Surfez-vous
beaucoup sur Internet dans le cadre de votre exercice ? Quels
sont vos sites préférés ?
Tant
que je n’aurai pas de ligne à haut débit, il me sera impossible
d’utiliser Internet dans le cadre de mon exercice. Je ne me sers
jamais d’Internet à mon cabinet. En revanche, je m’en sers chez
moi pour interroger Medline ou correspondre avec des confrères.
Internet
peut être très utile, dans le cadre notamment du dossier médical
partagé, sur lequel on se casse le nez depuis des années, mais encore
une fois, il faut des lignes à haut débit. C’est la condition sine
qua non. Je reste un peu dubitative sur les promesses faites
sur le plan technique.
Que
pensez-vous des Intranets de santé, tels que le RSS, Wanadoo Santé,
Libéralis ou Santé Surf ?
Ceux
qui adoptent une logique de fermeture resteront, tôt ou tard, sur
la paille. Le concept de l’Internet et une démarche de restriction
des échanges sont incompatibles.
Les
réseaux montés par des médecins sont à la traîne par rapport aux
projets industriels. A votre avis, pourquoi ?
Les
médecins, ce qu’ils savent bien faire, c’est de la médecine. Libéralis
est un réseau totalement fermé. Je n’ai, personnellement, pas envie
de m’embrigader dans n’importe quoi, que ce soit Libéralis ou Medsyn.
Je veux pouvoir en sortir si je ne suis pas satisfaite.
Vous
n’êtes pas séduite par l’idée que les données médicales restent
dans les mains des médecins pour faire des études épidémiologiques,
etc. ?
Cela
ne me dérange pas que ces données soient confiées à des non médecins,
si je suis assurée du respect de leur confidentialité. Je ne suis
pas sûre que mes données seront mieux utilisées sur Medsyn ou sur
Libéralis. Il est faux de dire que tous les médecins sont complètement
vertueux.
Si j’ai
besoin d’un opérateur, je m’adresse à une structure dont c’est le
métier. Si je suis malade, je vais voir un médecin. De plus, les
petites guerres et la balkanisation syndicales ont plombé ces réseaux.
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