Ingénierie
santé et rôle des assurances complémentaires
Hervé
Nabarette
26
février 2003
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Ces
dernières années, les complémentaires ont réalisé
des innovations importantes dans le domaine de l'ingénierie
santé (ensemble de réflexions et d'actions en matière
de gestion du risque santé), par exemple à travers
les "plateformes" d'aide et de conseil. A l'opposé,
les textes dérogatoires sur les réseaux de soins ("réseaux
Soubie") qui auraient pu les faire accéder à
un rôle plus important dans le système ont déçu
les attentes des assurances.
Aujourd'hui,
les projets de réforme en cours semblent miser sur une nouvelle
articulation entre régime général et complémentaires
santé. Ils remettent les assurances sur le devant de la scène.
La place occupée par les complémentaires dans le dentaire
et l'optique et leurs réalisations dans ces secteurs pourraient
indiquer une voie de réforme possible, sous la forme d'une
gestion intégrale de ces deux risques.
Les initiatives des assurances
Fin 2002, le
Collège des économistes de la santé a organisé
un colloque sur les relations entre assurances santé et professionnels
de santé libéraux (Séminaris). Des professionnels
de Groupama, de la FNMI et de AG2R étaient invités.
Depuis quelques années, Groupama est un des acteurs les plus
dynamiques de l'ingénierie santé. Le Groupe a démarré
en 2001 le déploiement à grande échelle de
Groupama Santé Active, une nouvelle formule d'assurance complémentaire
visant à prendre en charge des frais optiques et dentaires
à un niveau élevé, à traiter rapidement
les demandes de remboursement, à fournir une assistance téléphonique
sur les tarifs, les contrats, des informations sur les hôpitaux
...
Le
partenariat avec les professionnels
Les partenariats
avec les professionnels ont occupé une grande place dans
ces innovations. Lors de Séminaris, Claire Bodin a décrit
les difficultés à passer des accords et à mettre
en place des formes innovantes de gestion du risque.
A priori, l'assurance
complémentaire n'a pas la légitimité du payeur
de premier niveau qui est le financeur principal et aussi un des
régulateurs du système. Le poids des remboursements
dans l'optique et le dentaire confèrent toutefois une position
de choix. Dans le cas de Groupama, l'association à la MSA
est un aussi un facteur important. Deuxièmement, les projets
assurantiels doivent surmonter la méfiance des professionnels
: les assurances sont perçues comme des instances de "contrôle",
alors même que la culture de supervision est mal établie
en France. Troisièmement, l'accès aux données
est malaisé, les professionnels de santé ayant tendance
à mettre en avant le secret médical pour rendre plus
difficile l'obtention et l'analyse des données. Dans cet
environnement, les assurances ont besoin d'un cadre adéquat
pour mener à bien leurs innovations : affirmation du rôle
de l'assurance maladie à qui il revient de préserver
la solidarité, clarté de l'environnement juridique
et informatique pour l'accès aux données, règles
déontologique pour la collaboration entre payeurs et professionnels
de santé (contrats visés par l'Ordre des médecins).
Les assurances peuvent alors définir des systèmes
d'incitation adéquat (constat, objectif, récompense,
sanction). Elles peuvent miser sur des accords individuels avec
les professionnels grâce au droit de la concurrence. Elles
ne doivent pas forcément chercher à fixer avec eux
des prix plafond qui deviennent vite des prix plancher, mais plutôt
à analyser et à comprendre les différences
de prix. Le payeur peut contracter avec un offreur plus cher que
la moyenne si son prix est justifié. Ces accords qui reposent
sur des logiques microéconomiques et l'incitation des professionnels
sont à distinguer des actions d'information, de prévention
ou de mécénat. Ces dernières années,
les deux principales réalisations de Groupama résident
dans l'expérience Groupama Partenaires Santé et les
études médico-économiques réalisées
dans le domaine de l'optique.
Les référentiels
de pratique
Michèle
Boulègue, déléguée générale
de la FNMI a expliqué le rôle de sa Fédération
qui a notamment pour mission de créer des outils à
la demande des mutuelles, de développer à leur profit
des capacités de veille, d'ingénierie et de conseil.
Pour la FNMI, l'objectif est de rompre avec le suivisme vis à
vis du régime obligatoire, en se rapprochant des professionnels
de santé, et en essayant d'accéder aux données
sources d'activité. Par ailleurs, la tradition mutualiste
peut être mobilisée à travers le réseau
de délégués pour améliorer la responsabilisation
des assurés (hygiène de vie, diététique
).
De façon concrète, la FNMI construit des référentiels
de pratique qu'elle cherche à mettre en uvre au niveau
local. Privilégier l'expérimentation locale permet
de minimiser les difficultés politiques qui apparaissent
dans la négociation avec les syndicats à l'échelle
nationale, et de signer des accords moins "inflationnistes".
Le contrôle
des devis
Au nom d'AG2R,
Paul Coulomb a décrit la démarche entreprise dans
le domaine de l'optique depuis 3 ans, et dans le dentaire depuis
5 ans. Le groupe de prévoyance n'a pas créé
de plate forme, mais il a misé sur l'embauche de praticiens
conseil qui forment des gestionnaires à l'analyse des devis.
Les chaînes d'optique ne voient pas d'un mauvais il
ces contrôles car elles réprouvent les abus chez leurs
franchisés. Concernant les chirurgiens dentistes, ils comprennent
qu'il n'y a pas de menace de "sélection" des offreurs,
mais seulement dénonciation des cas abusifs.
Les réalisations dans l'optique et le dentaire.
Les réalisations dans le dentaire et l'optique
Suite à
la mise en place d'études médico-économiques
réalisées par des spécialistes, Groupama a
été amenée à revoir sa politique de
remboursement. Des études coût-efficacité menées
sur les traitements de verre de lunette ont montré que l'utilité
de ces traitements était parfois marginale. Ainsi, le traitement
durci vise à éviter les rayures. Mais si le porteur
de lunette prend l'habitude de poser et de ranger correctement ses
lunettes, les verres ne se rayent pas. Le durci, qui correspond
à un véritable progrès technique, n'apparaît
pas alors indispensable. Une autre étude, aussi financée
par l'assureur, a été menée par les spécialistes
en optique d'un hôpital militaire à propos du traitement
anti-reflet. L' "outcome" qui était considéré
par l'étude était la récupération visuelle
après éblouissement. Là aussi, les résultats
avec verres traités ne sont pas supérieurs aux résultats
avec verres non traités. Aujourd'hui, l'assurance juge qu'elle
ne dispose pas de données montrant l'utilité de ces
traitements pour décider de les rembourser.
En matière
dentaire, les assurances complémentaires ont aussi innové.
Groupama a passé des accords avec des chirurgien-dentistes
qui s'engagent dans une démarche de prévention. L'assureur
offre une fois par an une visite de prévention (pour détecter
les caries, repérer des malpositions dentaires ou des anomalies
liées à la succion du pouce chez les enfants
).
Des traitements préventifs non pris en charge par la sécurité
sociale sont remboursés sur la base d'un forfait : pose de
vernis fluoré pour les enfants, examen des gencives chez
l'adulte. Tous les soins courants comme le détartrage ou
le traitement des caries sont intégralement remboursés.
La suppression
de l'entente mutuelle dentaire en juin 2001 fait évoluer
le rôle des complémentaires. La FNMI a entamé
un travail avec les chirurgien-dentistes à partir de la Classification
Commune des Actes Médicaux. Le but est d'identifier un certain
nombre d'actes et de réfléchir à leur remboursement.
La Fédération cherche à construire des référentiels,
et à passer des conventionnements locaux expérimentaux.
Chez AG2R, une
centaine de gestionnaires cherchent aujourd'hui à s'assurer
du juste prix à travers l'analyse des devis, et à
éviter le dérapage de prescription. Ils téléphonent
aux professionnels lorsque les devis semblent comporter des irrégularités.
Souvent les professionnels fautifs cherchent à atteindre
le plafond de garantie. AG2R a observé une baisse des comportements
déviants. Aujourd'hui, le groupe cherche à améliorer
ces process en raccourcissant les temps de réponse aux devis
des centres de gestion. Il essaie aussi d'implémenter dans
des logiciels l'expérience des praticiens conseil afin de
mieux assister le travail des gestionnaires.
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