Comment le secteur de la santé sinscrit-il
dans les difficultés du e-commerce ?
Les
multiples services, produits et segments de marché qui constituent
le monde de la santé nont pas subi le même impact de la part
des NTI et ne réagissent pas de la même façon, ni au même rythme.
Le marché des complémentaires santé, celui du maintien à domicile,
la vente de produits pharmaceutiques ou la formation médicale continue
peuvent en cela être considérés comme des marchés spécifiques, appelés
à évoluer différemment, selon divers facteurs : organisation
des filières, possibilités dinnovation et damélioration
des services rendus, intervention de la puissance publique, propension
à payer des services à valeur ajoutée de la part des consommateurs,
nature des biens et des services considérés, etc.
" Est-ce
à dire pour autant que le commerce électronique ne peut introduire
des ruptures significatives ? Pas exactement. Si les échanges
de biens matériels restent très contraints par les problèmes de
distribution et de logistique, ce nest pas le cas pour les
biens immatériels, ou tout au moins assez dématérialisables pour
minimiser les échanges matériels : les logiciels, lassurance,
la banque et les services boursiers, la musique, les jeux et la
pornographie, cest-à-dire lorsque le contenu informationnel
ou graphique prime. Cest là quon enregistre les modèles
les plus innovants. " (Christian Licoppe)
A
partir de cette grille danalyse, on comprend mieux le contraste
entre les difficultés rencontrées par les pharmacies électroniques
et le succès des sites médicaux intervenant dans la chaîne de soins
à titre de conseil, de soutien psychologique ou denrichissement
du service médical rendu (monitoring distant, etc.). Dans ces derniers
exemples, le service délivré comporte une dimension informationnelle
forte (dans une matière où les gains defficience sont quasiment
illimités) alors que la délivrance de produits pharmaceutiques correspond
à un service bien structuré sur une matière physique difficile à
gérer (pharmacovigilance, etc.), dans une industrie où les process
sont presque optimaux (cf. densité des officines en France, fréquence
de livraison, richesse du référencement, etc.). Dans ce contexte,
il nest pas étonnant que les pharmacies électroniques éprouvent
les pires difficultés à simposer contre leurs équivalents
physiques, et à apporter au patient une valeur ajoutée. Lintervention
croissante des opérateurs de e-pharmacies dans les services informationnels
(gestion du dossier médical, aide à la prescription, etc.) montre
quils sont parvenus à ce constat, et quils cherchent
désormais à sortir de lornière en enrichissant leur métier.
Dans
les années à venir, le marché de la santé continuera dêtre
bouleversé par les nouvelles technologies, dautant que la
transformation de la médecine dépend énormément de lavènement
des hauts débits, contrairement à dautres secteurs dactivité,
où la dématérialisation intégrale des process semble déjà aboutie
(banque et assurance par exemple). Ce nest quavec les
hauts débits que la télémédecine, la coordination des soins, les
services de maintien à domicile et de domotique médicale pourront
pleinement sépanouir et sintégrer, avec moins de heurts
quaujourdhui, dans lorganisation des soins.
Pour
dépasser les faiblesses inhérentes à la nature même du commerce
électronique, les acteurs de lInternet doivent aujourdhui
modifier leur stratégie à trois niveaux :
1.
Les services Web doivent gagner en ergonomie et en qualité de service
pour gagner la confiance des internautes et déclencher lacte
dachat.
Comme
le rappelait un article paru en 1998 dans le Seattle Times,
" quand le site Web est votre tiroir caisse, chaque touche
compte ". Le jardinage dun site et de la
page daccueil en particulier requiert des trésors de
patience, dingéniosité et découte pour parvenir à des
interfaces capables de satisfaire linternaute. Plus facile
à dire quà faire : la plupart des sites Web exercent
encore un effet répulsif sur les consommateurs, pour une raison
ou une autre : pages trop lourdes, design atroce ou alambiqué,
arborescence complexe, bugs, impossibilité de joindre le webmestre
ou le centre dappel de lentreprise, etc. Les contraintes
de qualité sur le Web sont dautant plus fortes que la dématérialisation
des services et la mise à distance du consommateur (sur le modèle
de la VPC) obligent les sites de e-commerce à renforcer les dispositifs
daccompagnement du client (mails pour assurer le suivi de
la commande en temps réel, recours à un tiers de confiance pour
certifier le paiement, SAV performant pour faire face aux déceptions
que peuvent engendrer des achats effectués sans " toucher "
le produit, etc.). En somme, les sites de e-commerce sont contraints
doffrir un service supérieur à celui des magasins physiques,
alors même que leur manque dhistoire et de culture client
tend à les éloigner de cet objectif.
2.
Les acteurs du Web doivent apprendre à définir leur métier. " Faire
du Web " na plus de sens puisque les technologies
tendent à se banaliser.
Cet
enjeu est par exemple crucial pour tous les acteurs qui prétendent
aujourdhui jouer le rôle de " place de marché électronique "
(marketplace) dans quelque secteur dactivité que ce soit.
Mettre en relation des acheteurs et des vendeurs grâce aux technologies
Web ne constituent nullement une offre à forte valeur ajoutée aujourdhui.
Si la société qui souhaite jouer ce rôle dinfomédiaire napporte
pas dautres services et ne maîtrise pas les facteurs clefs
de succès liés à son marché (connaissance du microcosme, qualité
de la logistique, prix, etc.), sa stratégie sera vouée à léchec :
il ny a aucun raison pour que les acteurs dun marché
donné (celui de lacier, de la chimie, de lautomobile,
des médicaments, etc.) acceptent quun nouvel entrant prenne
une place dans la chaîne de valeur (pour prélever une dîme sur le
processus économique) au seul motif quil maîtrise les technologies
Internet. On constate dailleurs que, dans quasiment tous les
secteurs dactivité, ce sont les producteurs qui ont pris le
contrôle des places de marché électronique, dégommant au passage
les francs tireurs.
3.
Les start-up doivent passer dune logique doffre à une
logique de demande.
Cette
transformation culturelle correspond à un changement dattitude
radical, induit par lévolution historique que connaît actuellement
le Web. Nous sommes en effet en train de passer dune phase
dinnovation à une phase de stabilisation. Dans ce nouveau
contexte, ce sont les internautes-consommateurs qui organisent les
marchés, en validant ou en refusant les services qui leur sont proposés.
Ces
trois défis obligent les acteurs de lInternet à se poser une
multitude de questions concernant leur service, leur marché et leur
clientèle. De quoi ont besoin les internautes ? Que puis-je
leur offrir quils ne trouvent pas dans le monde réel ?
Comment les consommateurs penseront-ils à utiliser mon service si
son utilité est ponctuelle ? Quels sont les chocs exogènes ou les
événements prévisibles qui peuvent nuire à mon développement ?
Lheure de vérité a bel et bien sonné pour les services en
ligne, qui vont devoir apprendre à composer avec une demande plus
limitée et plus exigeante quil ny paraît.
A l'instar de M. Serge Diebolt, réagissez
à ce dossier en nous donnant votre avis sur le développement des
pharmacies électroniques.
Votre article sans complaisance
possède à mon sens l'immense mérite de faire un point
objectif sur une situation que de nombreux acteurs tentaient
de dénoncer depuis de nombreux mois.
Je me permets toutefois de
vous proposer un petit complément. On a beaucoup parlé
des start-ups. Il est vrai que le strass et les paillettes
sont attirants pour l'oeil ; en plus, ça fait rêver. Mais
l'on oublie souvent de faire mention d'autres modèles
de Net-économie. Il est vrai aussi qu'ils sont plus discrets,
moins racoleurs, mais ils n'en sont pas pour autant moins
efficaces.
Puisque vous vous occupez
principalement du secteur médical, vous aurez peut-être
remarqué un petit site d'information juridique nommé SOS-Net
(http://sos-net.eu.org).
C'est un petit site associatif sans prétention, fait avec
des moyens dérisoires, mais qui constitue à ce jour la
plus importante base de donnée en droit médical. Sa consultation
a été facilitée pour les non-juristes par une présentation
sous forme de questions-réponses, et l'adoption d'un langage
débarrassé du jargon juridique habituel.
Ce site ne vit d'aucune publicité,
et est géré par une toute petite association qui coûte
à ses membres 100 F par an. Comment ont-ils pu, dès
lors, réunir un tel fonds documentaire ?
Tout simplement en faisant
usage de notions un peu vite oubliées par la Net-économie
: passion, dévouement, mais aussi modestie.
L'avocate qui a rédigé ce
site, Carine Durrieu, l'a fait simplement, en y consacrant
un peu de ses heures de travail, et elle a mis son savoir
à disposition du grand public (Droit pour Tous, l'association
qu'elle préside, a pour objet de faciliter l'information
du public au niveau juridique). Et le public le lui rend
bien (en témoignent les messages laissés par les internautes
sur le livre d'Or). C'est ainsi que ce site lui a assuré
réputation et estime, et lui vaut une petite clientèle,
régulière et d'autant plus motivée qu'elle connaît ses
droits et la qualité de l'avocat auquel elle fait appel
(il y a plusieurs autres avocats et plusieurs autres rubriques).
SOS-Net apporte donc la preuve
qu'il peut y avoir d'autres rapports à l'Internet que
celui de l'argent qui coule à flot et de la start-up.
Le respect de l'internaute, le service rendu, sont autant
d'éléments qui n'empêchent nullement de vivre décemment.
Certes on ne fait pas tomber des millions, mais en définitive
qui le fait ? Et l'internaute est gagnant sur tous les
plans : il a du contenu, de la qualité, et des partenaires
fiables dans des domaines qui peuvent s'avérer être délicats.
Je vous écris cela car je
suis l'informaticien juriste qui a fondé ce serveur, il
y a trois ans, et notre philosophie n'a pas changé. Je
ne pensais pas, il y a trois ans, que nous serions encore
aussi marginaux ; et pourtant... la générosité est un
concept qui marche sur Internet. Nous échangeons énormément,
entre chercheurs. L'esprit du Net, au CNRS où j'ai travaillé,
c'est le partage. Pourquoi cette attitude demeure-t-elle
encore si restreinte chez le reste des acteurs du réseau
?
A mon avis, sa généralisation
rendrait ce média bien plus intéressant que toute les
campagnes marketing du monde. Mais ce n'est qu'un point
de vue...
Bien cordialement, et mes
encouragements pour vos pages que je me plais à
parcourir régulièrement,