Viagra,
Edex, Caverject et les autres…
François
Resplandy
15 mai
2001
Les
médicaments de la dysfonction érectile (DE) à l’instar de toutes
les « life-style drugs » (médicament du bien être) forment
un marché à fort potentiel. Aujourd’hui, de nombreux laboratoires
sont dans la course et l’un des enjeux actuels en France est l’obtention
du remboursement par l’assurance maladie.
Les
résultats dépassent les espérances…
Le
traitement de la dysfonction érectile est une indication déjà ancienne.
D’ailleurs, le terme de dysfonction érectile a avantageusement remplacé
celui d’impuissance en lui donnant la consonance d’un dérèglement
plutôt que celle d’une fatalité. Mis à part quelques molécules déjà
connues comme l’agoniste dopaminergique et utilisées pour traiter
l’hyperprolactinémie, les premiers médicaments spécifiques sont
arrivés sur le marché français vers 1993. Ce sont principalement
des composés destinés à provoquer l’érection de manière pharmacologique
par injection intracaverneuse. Ce n’est qu’en 1998 (mars aux Etats-Unis,
octobre en France et janvier 1999 au Japon) qu’est commercialisé
le Sildénafil sous le nom de Viagra®.
Aujourd’hui,
Viagra® est le seul médicament de ce segment qui peut prétendre
être un « blockbuster ». Les chiffres de vente et les
prévisions sont éloquents (source : Pfizer
et Pharma
Business) :
Le
mode d’administration oral du Viagra® n’y est certainement pas pour
rien puisqu‘il est le seul actuellement à être utilisable par cette
voie alors que ses concurrents sont toujours à utiliser en injection
intracaverneuse. D’après IMS Health, le Viagra® serait
même bénéfique aux autres traitements existants (lire l’étude).
En effet, aux Etats-Unis, le nombre d’ordonnances concernant la
dysfonction érectile aurait plus que quintuplé depuis la mise sur
le marché du Viagra® !
D’après
Pfizer, 10 millions de patients aurait été traités par Viagra® dans
le monde dont 400 000 en France.
…
mais ont un prix
Les
dépenses de Pfizer pour la promotion et la publicité en direction
des patients (Direct-to-Consumer, DTC) sont aussi pour beaucoup
dans ce succès :
DTC |
1999
|
2000
|
CA
(millions de $)
|
93,5
(3ème)
|
53,5
(4ème)
|
Source :
IMS Health
La
formation des médecins a été cruciale également pour vulgariser
la prise en charge de l’impuissance. Ce ne sont plus des urologues
ou d’autres spécialistes mais de plus en plus des généralistes (à
80% d’après Pfizer) qui prescrivent le Viagra®.
L’érection
est dans le pipeline
Devant
le succès du Viagra (succès qui a contribué à dédramatiser la dysfonction
érectile) quelques laboratoires ont déjà sorti ou s’apprêtent à
sortir un médicament contre des troubles de l’érection chez l’homme
(consulter le site Biospace.com).
Les
choix stratégiques concernent surtout le mode d’action (local ou
général) car celui-ci détermine souvent des caractéristiques importantes
aux yeux des utilisateurs : durée et surtout délai d’action.
Les
drogues à action locale sont les plus anciennes, elles contiennent
la plupart du temps de la prostaglandine E1. Elles ont l’avantage
de diminuer les risques d’effets secondaires en diminuant la diffusion
de la molécule dans l’organisme. Les inducteurs d’érection sont
vasodilatateurs et une action générale peut favoriser la survenue
d’hypotension en particulier en cas d’association avec des médicaments
déjà hypotenseurs. Ils ont, en revanche, le défaut de nécessiter
un apprentissage pour la réalisation des injections intracaverneuses.
Celles-ci peuvent devenir un véritable « tue l’amour » ;
sans compter le risque d’érection prolongée (plus de quatre heures
d’affilée !). Ce mode d’administration médicalise davantage encore
l’impuissance, ce qui renforce la notion de pathologie, négative
aux yeux des patients.
Récemment,
les laboratoires AstraZeneca ont mis sur le marché Suisse
une prostaglandine avec un dispositif permettant une administration
moins invasive, en intra-urétral : le MUSE (médicament
urétral pour la stimulation de l'érection).
Les drogues à action générale sont plus faciles
d'emploi et s'inscrivent donc parfaitement dans le créneaux
des " life-style drugs ". Des études sont d'ailleurs
menées aujourd'hui pour évaluer l'intérêt
du Viagra® dans la prise en charge des troubles de l'érection
liée aux médicaments comme les antidépresseurs.
A coté des dérivés proches du sildénafil,
d'autres types de produits sont dans le pipeline des laboratoires.
Takeda et Abbott ont obtenu l'autorisation européenne de
mise sur le marché d'un composé connu depuis longtemps
: l'apomorphine sous les marques Uprima® et Ixense®. Cette
substance est utilisée depuis longtemps dans la maladie de
Parkinson et dans certaines intoxications. Comme pour le Viagra®
alors qu'il était étudié pour un usage en cardiologie,
les constatations d'un effet sur l'érection de l'apomorphine
ont donné l'idée du développement de cette
molécule dans le traitement de la dysfonction érectile.
Eli Lilly avec le Cialis® est aussi sur les rangs.
Remboursement
en attente
En
janvier 2001, les pouvoirs publics français ont autorisé le remboursement
à 35% de l’Edex® des laboratoires Schwarz Pharma, une solution injectable
de prostaglandine E1 à utiliser en intracaverneux. Cette autorisation
qui ne concerne que des indications très précises (lire
l’arrêté) est tout de même la preuve que la sexualité fait maintenant
partie de la prise en charge globale de ces pathologies. Dès 1998,
le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) avait émis un avis
un faveur du remboursement (lire
l'avis) pour les cas d’impuissance d’origine organique seulement.
Par ailleurs, dans cet avis, le CCNE insiste sur les risques de
la médicalisation de la dysfonction érectile et sur les conséquences
de l’existence de traitements. Les laboratoires Pfizer auraient
déposé une demande de remboursement du Viagra® auprès de la commission
de transparence, un facteur de plus pour assurer son succès commercial.
Le
marché de la dysfonction sexuelle est donc en plein essor. Reste
encore un versant à conquérir : les troubles sexuels de la
femme, des études sont en cours…
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15
mai 2001
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