Suicide
collectif
sur la Toile médicale française
La
Revue du Praticien -
Médecine Générale du 14 février 2000
Philippe Eveillard
pheveillard@jbbsante.fr
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Cet
article suscite un débat passionné. Médisite, qui fait
partie des sites critiqués, présente déjà un droit
de réponse sur le sujet. (Attention, ce lien renvoie
vers des pages qui ne sont accessibles qu'aux professionnels
de santé enregistrés).
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17
février 2000
Depuis
quelques semaines, la Toile médicale française offre une image très
contrastée. Dun côté, les "portails médicaux" lèvent
des fonds, saffichent dans les gazettes mais ne produisent
que du vent. De lautre, les institutions développent des contenus
et produisent de linformation médicale de qualité dans lincognito
le plus complet. Cette dérive ne durera quun temps. Les praticiens
ne vont pas tarder à se réveiller et à sapercevoir que linformation
délivrée par les institutions est de bien meilleure qualité que
celle distillée par les portails.
État des lieux
Atmedica
Atmedica
est la figure la plus emblématique des portails médicaux de nouvelle
génération. Son démarrage laborieux malgré un budget pharaonique
et une noria de rédacteurs en chef laisse supposer quil na
pas trouvé la "bonne formule". Plus grave encore, lexploration
du site montre que les "e-incongruités" ne manquent pas,
notamment :
la bannière commune sous laquelle se fait la recherche bibliographique
dans Medline et linterrogation de la banque de données de
lInist laisse lutilisateur dans le plus complet dénuement ;
cest à lui de se débrouiller avec ses mots clés et ses fenêtres
dinterrogation ; qui lui dira que Medline sinterroge
exclusivement en anglais, alors que la base de lInist peut
lêtre en anglais ou en français ?
"les patients parlent aux médecins", cest bien ;
cest encore mieux quand ce sont vraiment les patients qui
posent les questions et non des médecins déguisés en patients (voir
les questions "téléguidées" sur lasthme) ;
le robot qui arpente la Toile pour le compte dAtmedica est
loin dêtre le plus savant de tous ; quand on lui demande de
sélectionner les meilleures références sur les troubles du rythme
cardiaque, il propose des documents sur les infections sévères à
streptocoque, les amyloses rénales et la pancréatite aiguë (interrogation
faite le 29 janvier 2000).
Medisite
Medisite,
le concurrent direct dAtmedica est lautre figure emblématique
des portails médicaux français. Il vient de faire le plein (de finances).
Il en a profité pour faire le plein de rédacteurs, sans améliorer
son fonds pour autant. Lui aussi traîne quelques "e-incongruités".
Morceaux choisis :
larticle "les mouches louches" montre que le pire
de la presse santé nest pas dans les fanzines de la médecine
alternative, mais sur les sites qui se piquent de faire de la vulgarisation
scientifique ; lalmanach Vermot nest plus tout seul
au sommet de la vulgarité ;
vendre du "programme anti-âge" (complément nutritionnel
antiradicalaire et hydratant) ne fait pas peur au PDG de Medisite
; en revanche, il semble plus étonnant que le rédacteur en chef
(médecin) cautionne ce genre dattrape-nigaud ;
la proximité est le terrain de prédilection de Medisite ; cest
la raison pour laquelle son annuaire regorge de sites personnels
et de sites associatifs ; dans la catégorie "médecine du sport",
par exemple, on trouve des sites comme "psychogym "(un
netzine sur le "travail du corps") ou comme "vélo
couché" (lapologie dune nouvelle forme de cyclisme)
; en revanche le Comité international olympique (CIO) ne figure
pas dans lannuaire et le lien avec le ministère de la Jeunesse
et des Sports est cassé (interrogation faite le 1er février 2000).
Egora
Lancé
au Medec 99, Egora est resté dans les starting-blocks. Faute davoir
trouvé la "bonne formule "et sous le coup dune bourde
retentissante, le portail santé de France Telecom piétine. La bourde
est celle qui concerne le lien avec la banque de données Medline.
Pendant les premiers jours dexistence dEgora, les responsables
du site avaient établi un lien avec un commerce de fauteuils roulants
(de marque Medline). Après un concert de protestation, un lien a
été mis en place avec le National Center for Biotechnology Information.
Mais, ce nétait pas encore la bonne adresse. Aujourdhui,
le lien avec Medline est effectif mais le texte daccompagnement
est dune indigence rédactionnelle rare. La rigueur intellectuelle
nest pas la première qualité dEgora.
Caducée
et Galaxie
Le
grand mérite de Caducée et de Galaxie est de garder le cap contre
vents et marées. Malgré le peu de rentabilité de ces mini-portails
et la pression exercée par les dynosaures du secteur, les sites
de Hervé Roubertie et de Hervé Delisle arrivent à conserver la tête
hors de leau. Le premier sappuie sur son annuaire de
sites, le second sur son annuaire des professionnels de santé. Pour
leur constance et leur opiniâtreté, on aurait presque envie de leur
trouver beaucoup plus de qualités quaux autres.
Terrorisme intellectuel
Les
portails médicaux ont un gros défaut : ils sont tous construits
sur le même modèle, celui des portails qui caracolent en tête des
hit-parades aux États-Unis. Le seul problème est que les médecins
français nont pas la même sensibilité ni la même culture que
les médecins nord-américains.
Le
principe du portail est simple : le professionnel de santé trouve
dans cet espace la satisfaction de tous ses besoins. Cela se traduit
par une page daccueil délirante où toutes les ressources techniques
sont déployées pour "charger la barque "au maximum (mettre
le plus dinformation possible). Quand le risque de dessalage
devient trop élevé, il suffit de "rallonger" la page,
ce qui nest pas sans inconvénient sur lergonomie de
la navigation.
Le
principe du portail est contraire à lesprit de la Toile. Au
temps du lien hypertexte superstar (au milieu des années "quatre-vingt-dix"),
le message du webmaster était le suivant : "allez donc voir
ailleurs, cest peut-être mieux que chez moi ". Larrivée
du "e-business" a changé la donne. Aujourdhui, linternaute
est retenu prisonnier dans lespace dans lequel il sest
engagé. Sil arrive à sen échapper (les liens des annuaires,
les fenêtres dinterrogation des outils de recherche), toutes
les ressources techniques du World Wide Web sont mises en uvre
pour quil revienne sur le portail avant la fin de la session.
Le
portail santé dit au médecin : "la médecine, cest moi
!", un discours qui était celui des mandarins dans les années
"cinquante". Depuis, les médecins ont pris le pouvoir
et décidé de soccuper eux-mêmes de leur information et de
leur formation. Aujourdhui, le portail santé fait revenir
les praticiens cinquante ans en arrière. Les spécialistes du e-business
médical ont simplement remplacé les mandarins.
Sans avenir
Les
médecins ne seront pas toujours les gentils consommateurs à qui
lon fait avaler toutes les couleuvres qui passent. Après avoir
fait une "virée" sur Atmedica ou Medisite (pour voir),
ils prendront leurs marques et construiront eux-mêmes leur portail.
Pour cela, nul besoin de savantes procédures. Il suffit, pour le
médecin, dexplorer la Toile médicale pendant quelques semaines
et de noter les 10 ou 15 sites quil est amené à visiter régulièrement.
Ces sites (entrés dans la barre doutils personnelle du navigateur)
constituent le portail personnel du praticien. Il est établi en
fonction de son type dexercice, de ses centres dintérêt,
de ses choix vis-à-vis de lEvidence-based Medicine et de sa
sensibilité personnelle. En aucun cas, le médecin ne doit accepter
quun robot fasse ce travail à sa place à partir dun
formulaire qui aurait établi son "profil". Il faut arrêter
de penser que tout doit être fait pour "simplifier la vie du
médecin "quand cela revient à tout faire pour rendre son comportement
un peu plus débile.
En
demandant aux médecins de marcher au même pas, de sintéresser
aux mêmes "nouvelles" et de récupérer leurs informations
aux mêmes sources, les portails médicaux ont commis une grossière
erreur : celle de ne pas tenir compte de lindividualisme du
médecin français. Cest une des raisons pour lesquelles ces
portails nont aucun avenir. Parmi les autres raisons, il faut
insister sur labsence de validité (et de légitimité) de leur
contenu.
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