Colloque
des économistes
de la santé
La
réforme du système de santé espagnol
Joan Rovira
28
avril 2000
Les
3 et 4 février derniers, le Collège des Economistes de la Santé
(CES) organisait à lUniversité de Paris-Dauphine son premier
colloque sur létat de la réforme des systèmes de santé. Nous
abordons ce mois-ci les réformes des systèmes de santé en Espagne
et en Italie.
La décentralisation à luvre
Une fiscalisation du financement du système
de santé
Les nouveaux modèles de gestion et dorganisation
La décentralisation à luvre
La
mort de Franco marque le début de la décentralisation de lEspagne
avec le transfert de compétences aux régions qui en émettent le
désir. La gestion du système de santé par lINSALUD (la Sécurité
sociale espagnole) est progressivement confiée aux Communautés autonomes
(les régions). En 1981 la Catalogne ouvre la marche bientôt suivie
par lAndalousie en 1984, puis le Pays Basque en 1988 et enfin
Valence, la Navarre, la Galice et les Iles Canaries. Autrement dit
les 7 régions les plus importantes, toutes situées à la périphérie
du pays. Les dix autres régions, pour lesquelles lautonomie
politique nétait pas une priorité, continuent à être administrées
par lINSALUD.
Chaque
transfert de compétence a fait lobjet de négociation individuelle.
Cette démarche permettait de " débroussailler "
le terrain en évitant aux autres régions de tomber dans les mêmes
pièges.
Dans
les faits les régions ont réclamé, pour des raisons déquité,
que les avantages obtenus précédemment par les autres régions leur
soient également appliqués. Cela sest traduit par un alourdissement
des coûts des transferts et une pression supplémentaire pour que
le budget global consacré à la santé soit augmenté.
Bien
que la loi autorise les régions à contribuer au financement de leur
système de santé régional sur leurs propres fonds, elles se sont
abstenues de le faire. Des mécanismes ont donc été développés pour
répartir les fonds aux services régionaux.
La
coordination de laction du Gouvernement central et des régions
se fait au sein du Conseil Inter-territorial (Consejo Interterritorial)
qui accueille des membres des conseils dadministration des
régions. Le Conseil a notamment préconisé la rédaction dun
catalogue des services minimum (health care package). Le décret
du 20 janvier 1995 précise le niveau de services que le système
de santé doit proposer et financer.
Un
groupe de réflexion a présenté une première ébauche de services
assurés par le service de santé national. Il a fait lobjet
dune large concertation et dun débat public jusquà
ce quil soit approuvé par le Conseil des Ministres.
Très
peu de services ont été exclus de la liste de services pris
en charge : la chirurgie esthétique (sauf pour les accidents), les
maladies ou malformations congénitales, les traitements dans des
stations thermales, les interventions pour transsexualisme, la psychanalyse
et lhypnose.
Le
décret nest pas sans ambiguïté puisquil est difficile
de savoir si le catalogue représente un panier de services minimum
ou maximum.
Certaines
régions, usant de leur autonomie budgétaire et de labsence
de mécanismes de répartition des fonds nationaux en fonction des
besoins régionaux, offrent à leurs résidents un éventail de services
plus large. Par exemple lAndalousie a récemment décidé de
son propre chef de ne pas appliquer le déremboursement de certains
médicaments décidé au niveau central.
Une fiscalisation du financement du
système de santé
Les
sources de financement du système de santé espagnol ont radicalement
changé en deux décennies. En 1998 une loi programme la fiscalisation
progressive. En 1993, les ressources du système de santé provenaient
à 69% du budget de lEtat, et montent progressivement à 83%
en 1996 et 100% en 1999.
Les
régions disposent de fonds qui auraient dû correspondre au montant
annuel des services avant leur transfert. Mais les régions ont protesté
arguant du fait quelles étaient sous-financées. En effet les
déficits chroniques de lINSALUD ont toujours été comblés a
posteriori par le gouvernement.
Les
régions autonomes ont donc demandé à ce que cette mesure leur soit
appliquée. Ce qui leur a été accordé bien que les délais soient
longs. Cest lun des effets pervers du système :
en somme plus une région dépense, plus la probabilité de voir augmenter
son budget saccroît.
Le
nouveau système décentralisé reproduit donc les mêmes travers que
lancien.
En
1993, sous la pression du traité de Maastricht, un accord de financement
est conclu pour la période 1993-97. Il est décidé que le financement
reposera sur de purs critères démographiques. Mais le budget alloué
nest toujours pas en rapport avec les besoins réels et lors
de la signature du deuxième accord en 1997, une somme considérable
doit compenser les déficits accumulés.
Le
second accord (1997-2001) pose à nouveau (pour 95% du budget) le
critère démographique, mais deux ajustements ont été introduits :
lun pour prendre en compte les flux de patients entre régions
et lautre pour la formation médicale.
Les nouveaux modèles de gestion et dorganisation
La
séparation des fonctions de financement et de dépenses est au centre
de la réforme du système de santé en Espagne. Cette évolution repose
sur deux outils : le développement de contrat-programme et
la transformation des fournisseurs de services en fondations, groupements
associatifs ou corporations publiques. Le but est de proposer des
structures légales plus flexibles pour la gestion des ressources.
Les
contrats-programmes financent les accords qui se fixent des objectifs
de production. Leur but est dassocier les paiements à lactivité
à la différence du traditionnel budget, inflationniste par sa conception.
La
production est mesurée à laide dindices dactivité
tel que lUnidad Basica Asistencial (UBA) créée par la Catalogne.
Une journée dhôpital correspond à une UBA, une visite externe
à une demie UBA, etc. La valeur de lUBA est négocié et varie
en fonction du niveau technologique de linstitution.
Les
contrats prévoient que dans les cas où la production dUBA
dépasse le niveau initialement prévu, la valeur de lunité
soit diminuée afin de décourager le producteur daccroître
trop fortement ses volumes. LINSALUD, puis Valence et le pays
Basque en ont adoptés le principe avec des spécificités.
En
Catalogne, pour des raisons historiques, le financement privé est
plus répandu que dans le reste de lEspagne ce qui a facilité
lévolution du service de santé catalan vers de nouveaux modèles
dorganisation de santé reposant sur la séparation des fonctions
de financement et de dépenses.
Dans
la plupart de pays, le système de santé est perçu comme un outil
dintégration sociale et il est un signe fort dappartenance
au corps national. Mais en Espagne, lauteur se demande si
lenjeu de la décentralisation était lamélioration des
performances du système de santé ou la consolidation de lautonomie
des régions par le transfert de responsabilités, régions qui ont
de fait acquis une crédibilité nouvelle auprès de ses citoyens.
Certes
la décentralisation a permis à des innovations originales adaptées
au contexte local de se développer, mais cette conception de la
réforme ne favorise pas une approche " scientifique "
de lévaluation des services et diminue la valeur des expériences
pilotes menées.
Le
financement des régions est certainement lélément le plus
négatif de la réforme. Lincertitude régnant sur le montant
des ressources disponibles pour chaque région et la négociation
politique quasi-permanente au sujet des critères de répartition
des fonds autorise les critiques à imputer la responsabilité des
déficits à linsuffisance des fonds alloués aux régions. Linadaptation
et linefficacité de la gestion ne sont jamais reconnues comme
étant des causes de déséquilibres.
Joan
Rovira propose trois voies pour les pays qui sengageraient
dans la voie de la décentralisation :
- Les mécanismes
de financement doivent être précisément définis avant que le processus
soit engagé.
- Le financement
des services de santé doit être inclus dans le système global
de financement des régions, à charge aux régions de définir le
montant qui est accordé à la santé, avec le risque que des inégalités
régionales apparaissent
- La compétence
fiscale doit être accordée aux régions, quitte à créer un fond
de péréquation national.
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