Novembre
1999
Dr
André Paliwoda
Directeur
Senior,
Recherche Clinique,
Phoenix International France
5 novembre
1999
"
(...) Internet correspond tout à fait au cahier des charges des
essais cliniques : assurer la gestion en continu, permettre
une relation interactive avec les investigateurs pour le recueil
des données, pouvoir manager un essai en ayant toute l'information
à disposition."
Phoenix International
France est la filiale française de Recherche Clinique sous Contrat
(CRO) du groupe Phoenix International, considérée comme la quatrième
CRO mondiale. Elle couvre toutes les activités du développement
du médicament dont la réalisation des études de phase II à IV.
Vous
travaillez actuellement à la mise en place d'essais thérapeutiques
en ligne. Qu'est-ce qui vous a décidé à tenter cette expérience
en tant que CRO ?
Il y a plusieurs éléments
qui incitent Phoenix International à prendre en compte larrivée
de lInternet dans la gestion des essais cliniques. lI sagit
de répondre à l'attente de nos clients, les laboratoires pharmaceutiques
et dapporter aux médecins investigateurs un outil qui est
perçu par un nombre grandissant comme une facilité dans la relation
avec le moniteur.
Cela étant, le contexte
est différent selon que lon sadresse aux essais cliniques
de phase II, III ou aux études de phase IV et apparentées.
En phase II-III, il
s'agit essentiellement d'essais multi-pays européens, nord-américains
ou globaux dans lesquels la saisie des données en ligne se heurte
à lhétérogénéité de la pratique de lInternet chez les
investigateurs, et nécessite de repenser tout le circuit actuel
de la gestion de la donnée par le moniteur et le data-management.
En matière d'études
épidémiologiques, ou phase IV apparentées, l'approche est beaucoup
plus pragmatique. On assiste aujourd'hui à un double phénomène :
d'une part, un développement de plus en plus important des études
à gros effectif, que ce soit en matière d'études épidémiologiques,
de pharmaco-économie ou d'études de Post Marketing Surveillance.
Il faut donc trouver des solutions avec le meilleur ratio coût bénéfice,
et les solutions Internet sont extrêmement tentantes. D'autre part,
le taux d'équipement des médecins généralistes est quasiment exponentiel,
ce qui nous fait penser qu'il devient opportun de proposer aux laboratoires
des essais à large effectif.
Y a-t-il une demande réelle de la part des laboratoires ?
Le marché de l'industrie
pharmaceutique est extrêmement conservateur. Jusquà maintenant,
la demande réelle est minime, mais il y a une écoute et une attente
importantes. En général, les grandes firmes attendent de voir d'autres
laboratoires se lancer avant d'entreprendre ce type de projet.
La demande est de deux
ordres, et concerne dune part des études pilotes à visée "pédagogique"
dans une perspective dacquérir un savoir-faire, dautre
part, des études de type épidémiologiques principalement en milieu
hospitalier.
Depuis quelques mois,
la situation évolue et il y a une prise en compte de lInternet
pour les études à large effectif en médecine générale ; cette
demande sinscrit dans le cadre détudes à loccasion
de lancement de produits où les laboratoires peuvent entreprendre
auprès des médecins internautes une approche globale de la communication-produit.
Comment se positionnent les autres CROs par rapport aux
essais en ligne ?
Je crois qu'aujourd'hui
les grandes CROs sont pour la plupart dans une même situation de
veille technologique, c'est-à-dire en train d'acquérir un savoir-faire
soit en interne soit par une stratégie de partenariat.
Quels avantages pensez-vous retirer de la méthode ?
Tout d'abord, la mise
en place des essais sera facilitée, sans nécessiter linstallation
d'un équipement spécifique sur lordinateur de linvestigateur.
L'autre élément intéressant est la gestion des données "on
line", en particulier l'intégration du mail et des systèmes
permettant la gestion des requêtes. La réduction des délais entre
le moment où l'information est saisie et celui où elle est exploitée,
est un avantage majeur quapportera le suivi en ligne.
Bien sûr, il y a aussi
la qualité des données. Le fait de réduire le nombre d'intermédiaires
entre les médecins et la saisie, ainsi que la mise en place de contrôles
en ligne, permettent d'augmenter cette qualité. Un autre élément
important est l'apprentissage ; comme les contrôles signalent
immédiatement les données manquantes ou les erreurs, celles-ci diminueront
avec le temps à la saisie. La gestion en ligne est un facteur clef
d'amélioration de la qualité des données.
Bien entendu, comme
pour toute méthode nouvelle, il y a un effort de formation à consentir
au début. C'est un déplacement des énergies. L'énergie va être dépensée
plus en amont, en formation et en suivi au démarrage.
Quelles sont les principales difficultés que vous appréhendez
?
Les difficultés seront
probablement directement liées à l'hétérogénéité du corps médical
en France, dont linformatisation de masse est toute récente.
L'absence de culture de la gestion de données informatiques sera
donc le frein majeur. C'est pour cela qu'au départ, une des données
essentielles pour la réussite du projet sera de s'adresser en priorité
à des médecins déjà équipés pour la gestion de leur cabinet ou de
leurs dossiers médicaux. Néanmoins, a priori, cela ne constituera
pas un biais majeur dans la mesure où les médecins qui s'investissent
dans les études cliniques sont souvent ceux qui s'informatisent,
dans le but de pouvoir exploiter leurs données médicales.
Sur le plan technique,
il y a plus de craintes que d'obstacles objectifs, en particulier
concernant la notion très importante de la confidentialité ;
mais les systèmes existants de gestion des accès - firewalls et
annuaires électroniques -, sont maintenant suffisamment au point.
Fondamentalement, quand on voit la place aujourd'hui de l'Internet
dans la gestion de données autres que les essais cliniques, je pense
que l'on peut être confiant.
En résumé, les obstacles
seront essentiellement le degré d'implication des médecins et les
craintes qui existent autour de l'Internet concernant la confidentialité
des données.
Quels enseignements peut-on retirer des essais cliniques
en ligne qui sont en cours actuellement ?
Ce sont avant tout
des enseignements de type pédagogique. Pour qu'un essai soit réussi,
outre le fait que la culture de la gestion en ligne doit être intégrée
chez les médecins, il faut aussi qu'elle soit intégrée dans l'industrie
pharmaceutique et dans les CROs. Il faut créer un environnement
favorable à la gestion des données par Internet dans les entreprises.
L'habitude de l'utilisation de l'Internet au quotidien, ne serait-ce
que de l'e-mail, facilite beaucoup les choses et banalise la technique.
A quel type d'essai pensez-vous que la méthode soit la plus
adaptée (phase III, phase IV, études épidémiologiques
) ?
A terme, tous les essais
pourront être adaptés à l'Internet. Aujourd'hui, en tenant compte
des freins que nous avons évoqués, et des difficultés qui existent
pour mettre en place un essai européen, ce sont clairement les essais
de phase IV qui sont les plus adaptés.
Paradoxalement on peut
également évoquer les essais de phase II ou III à faible effectif,
impliquant quelques centres dans chacun des pays, et s'adressant
à des utilisateurs déjà familiarisés avec l'informatique.
Pour les études épidémiologiques,
des projets sont également en cours, avec un ciblage bien défini
en termes de population de médecins et d'implantation régionale,
où la représentativité des médecins doit être prise en compte.
Pensez-vous comme beaucoup que l'avenir des essais cliniques
est sur Internet ? A quelle échéance ?
Il serait étonnant
qu'il en soit autrement, à partir du moment où Internet correspond
tout à fait au cahier des charges des essais cliniques : assurer
la gestion en continu, permettre une relation interactive avec les
investigateurs pour le recueil des données, pouvoir manager un essai
en ayant toute l'information à disposition. A quelle échéance, il
est difficile de répondre. Mais tous les pronostics jusquà
maintenant en matière dInternet se sont révélés trop conservateurs
en regard de la réalité des faits.
Dans ce cas, est-ce que cela ne sous-entend pas un changement
de métier pour les CROs dans les années à venir ?
C'est la question que
tout le monde se pose. C'est vrai qu'à partir du moment où les données
sont en ligne, il va y avoir à terme une fusion entre les outils
de monitoring et de data management. Comment cette vision s'intégrera-t-elle
au sein des CROs ? Ce sont des questions stratégiques pour tous
les intervenants.
La fonction du data
manager devra nécessairement évoluer. Le moniteur quant à lui pourra
être beaucoup plus disponible sur site pour réaliser la formation
des médecins à lessai, pour son activité de contrôle des données
sources et de gestion des traitements. En revanche dans un même
centre la fréquence de passage sera diminuée, puisque la qualité
des données sera meilleure. Plus simplement, la productivité des
moniteurs va augmenter, et ils pourront gérer un plus grand nombre
de centres. L'Internet peut être ainsi une source de baisse du coût
de la gestion des essais cliniques.
Le personnel de Phoenix est-il déjà familiarisé avec les
outils Internet ?
C'est effectivement
un point important. La gestion de linformation en réseau fait
partie de la culture de lentreprise. Nous avons depuis cinq
ans développé notre logiciel de gestion des données des essais cliniques
en ligne, et centralisé sur une base unique l'information sur toutes
les opérations concernant chaque essai . Tous les moniteurs de toutes
nos filiales sont équipés dordinateurs portables et peuvent
se connecter doù quil se trouvent à la base centrale
pour y entrer les données concernant l'essai en cours.
Que pensez-vous d'autres applications actuelles de l'Internet
aux essais cliniques, comme le recrutement des patients directement
sur les sites Internet grand public (Centerwatch, Drkoop) ?
La relation entre le
patient et le médecin aux Etats-Unis est beaucoup plus proche d'une
relation de client à fournisseur. La relation médecin-malade conserve
en France une dimension éthique. Dans l'immédiat, il est difficile
chez nous d'imaginer de court-circuiter le médecin dans une démarche
de recrutement du patient. Le recrutement sur les sites Internet
grand public n'a donc probablement pas un avenir immédiat en France
ou en Europe.
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novembre 1999
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