Affaire du vaccin anti-hépatite B : d'une incertitude
scientifique à une certitude juridique
Nathalie
BESLAY
Avocat au Barreau de PARIS
10 juillet 2001
Au
milieu des années 1990, Madame J. et Madame L reçoivent
plusieurs injections d'un vaccin anti-hépatite B mis sur
le marché par le même laboratoire pharmaceutique. Quelques
mois après, elles déclarent une sclérose en
plaques.
Ces personnes estimant que l'injection des vaccins anti hépatite
B étaient à l'origine de la naissance de leur sclérose
en plaques, ont introduit une action en Justice afin de voir condamner
le laboratoire pharmaceutique concerné.
Une
condamnation en première instance
En première instance, SmithKline Beecham est reconnu entièrement
responsable du préjudice subi par les victimes consécutivement
à l'administration du vaccin anti hépatite B.
Deux décisions rendues le 2 mai 2001 par la Cour d'Appel
de Versailles sont intervenues à la suite de l'appel interjeté
par le laboratoire pharmaceutique, sur la base d'une expertise judiciaire.
Le
débat de droit porte sur le lien de causalité scientifique
et donc juridique susceptible d'exister entre l'inoculation du vaccin
et la naissance de la sclérose en plaques, étant précisé
:
- que le laboratoire conclut à l'absence de lien de causalité
juridique fondé sur l'absence de causalité scientifique
(expertise et état de l'art médical),
- que les victimes concluent à l'existence d'un lien de causalité
juridique basé sur une coïncidence chronologique relevant
d'une probabilité de risques connus, avérés
en l'espèce.
La
Cour d'Appel, après avoir rappelé les termes essentiels
des expertises produites aux débats conduisant à l'absence
de "preuves scientifiques certaines d'une relation entre la
vaccination et la maladie" relève néanmoins l'existence
d'un risque de relation de causalité.
Un
lien de causalité présumé
L'existence d'un tel risque et la chronologie des faits (la maladie
est née quelques semaines après les injections), ont
conduit la Cour à présumer l'existence d'un lien de
causalité entre l'injection du vaccin et la naissance de
la maladie.
Cette décision est surprenante au plan juridique, même
s'il est assez clair que les magistrats ont été motivés
par le souhait de réparer le préjudice lourd subi
par les victimes atteintes de sclérose en plaques. L'incertitude
scientifique a, en effet, permis de fonder une certitude juridique,
l'exigence de preuve laissant sa place à une simple présomption
de preuve sur la base d'une analyse de risque.
En
effet, conformément aux dispositions du Code Civil, introduites
par la loi relative à la responsabilité du fait des
produits défectueux (loi 1998-389 du 19 mai 1998), la victime
doit prouver qu'elle a subi effectivement un dommage, que le produit
présentait un défaut de sécurité, mais
surtout qu'un lien de causalité entre le défaut de
sécurité et le dommage existe (Article 1386-9 du Code
Civil).
La
responsabilité de l'entité à l'origine de la
mise sur le marché du produit, en cas de défaut de
sécurité "à laquelle le consommateur peut
légitimement s'attendre", pourra être retenue
d'ailleurs, même si le produit a été fabriqué
dans le respect des règles de l'art ou des normes existantes,
et même s'il a fait l'objet d'une autorisation administrative,
tel que cela est le cas pour les vaccins par la voie de l'autorisation
de mise sur le marché (AMM).
Le
bénéfice du doute
En l'espèce, les décisions intervenues ont une portée
considérable, les magistrats ayant reconnu l'absence de preuve
du lien de causalité (qui devait aboutir en principe à
l'exonération de la responsabilité du laboratoire
pharmaceutique), tout en condamnant ce dernier, en se fondant sur
une présomption de réalisation d'un risque possible.
Ainsi, au plan juridique, ces décisions apparaissent contestables,
même si au plan éthique, on peut imaginer le souhait
des magistrats de parvenir à une solution de réparation
face à des victimes malades, sans espoir de guérison.
Il
semble donc que le doute ait bénéficié aux
victimes, comme c'est déjà le cas dans un certain
nombre d'autres décisions qui confrontent les Magistrats
à une situation d'aléa thérapeutique sans relai
de réparation financière pour des victimes subissant
pourtant des conséquences dommageables, lourdes et irréversibles.
L'introduction d'un dispositif d'indemnisation systématique
des cas d'aléas thérapeutiques ayant entraîné
des conséquences pour des victimes sans mise en cause possible
de la responsabilité des professionnels de santé (praticiens
ou laboratoires pharmaceutiques) concernés devient de plus
en plus urgent afin de parvenir à une solution juridique
acceptable, tant du point de vue des victimes que du point de vue
des professionnels.
En
effet, si les demandes de réparation semblent légitimes,
il ne semble pas justifié face à une telle incertitude
scientifique et médicale, de faire peser sur des laboratoires
pharmaceutiques le poids de cette réparation au risque d'une
part de dévoyer les termes mêmes de la loi sur la responsabilité
du fait des produits défectueux, et de freiner d'autre part
la mise sur le marché de produits pourtant nécessaires
à la promotion de la santé publique.
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10 juillet 2001
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