Réseaux
et pratique médicale
L'exercice
au sein de réseaux de soins
influence-t-il loffre de soins
dans son ensemble ?
Cédric
Tournay, Gaëlle
Layani
5 octobre
1999
Suite (2/3)
Les leçons de lexpérience
américaine
Les médecins exerçant
au sein de réseaux de santé (PPO ou HMO) tendent à conserver les
habitudes acquises au sein de ces structures lorsqu'ils traitent
des patients dans le cadre du paiement à l'acte (fee for service).
Telles sont les conclusions d'une étude menée par le Dr Laurence
C. Baker de l'Université
de Standford de Californie et publiée dans le Journal of the
American Medical Association du 3 février 1999.
L'objectif assigné
à cette étude était le suivant : déterminer si la hausse de la part
de marché des HMO induit une baisse des dépenses de santé parmi
les bénéficiaires du programme Medicare, pris en charge dans le
cadre du paiement à l'acte. Ce choix se justifie par le fait que
Medicare ne soumet pas ses affiliés aux mêmes limitations que celles
imposées par les réseaux de soins.
Lanalyse repose
sur des données collectées entre 1990 et 1994 dans 802 zones
du territoire américain par la Health
Care Financing Administration (pendant la période étudiée, le
taux moyen d'affiliation aux HMO est passé de 15 à 21 % aux
Etats-Unis). Elles ont été comparées aux parts de marché des HMO
dans les zones concernées afin de calculer le montant moyen de dépenses
pour chaque bénéficiaire du programme Medicare.
Le Dr Baker a ainsi
observé que lorsque la part de marché des HMO avait augmenté de
10 à 20 %, les dépenses de paiement à l'acte baissaient parallèlement
de 1,5 %.
L'auteur conclut que
"Les HMO modifient fondamentalement la façon dont les
médecins exercent la médecine pour tous leurs patients."
"La baisse
des dépenses dans les zones à fortes parts de marché semble indiquer
que les bénéficiaires de Medicare ont reçu des services en moins
grand nombre ou de moindre intensité dans ces zones.",
affirme-t-il. Et d'ajouter : "Les médecins conditionnés
pour fonctionner au sein d'un environnement de managed care finissent
par traiter les patients consultant dans le cadre du paiement à
l'acte avec le même état d'esprit.". Si, par exemple,
ils ne sont pas autorisés au sein du réseau à prescrire une IRM
dès la première consultation pour certains symptômes, ils conservent
la "même ligne de conduite" avec les patients "hors
HMO", même si l'assurance de ces derniers accepte de rembourser
l'acte.
Plusieurs raisons peuvent
être invoquées pour expliquer cette attitude. Les droits et obligations
liés au remboursement des frais médicaux varient d'un plan d'assurance
maladie à l'autre. Les médecins retiennent et appliquent souvent
la formule qui convient à la plupart de leurs patients. Ils rechignent,
pour des raisons éthiques, à modifier leurs pratiques en fonction
du mode de paiement de l'acte ou de la consultation. Ils adhèrent,
semble-t-il, aux recommandations établies par les HMO, qui leur
paraissent prudentes, tant sur le plan médical qu'économique. Le
mimétisme entre confrères joue également un rôle : ceux qui
ne traitent pas beaucoup de patients affiliés à un réseau, mais
qui sont en contact fréquent avec des confrères qui le font, calqueraient
leur pratique sur celle de ces derniers.
De plus, l'offre de
services finirait par s'ajuster au marché des soins. Ainsi, si les
réseaux de santé (PPO, HMO) refusent de rembourser un examen donné,
il devient plus difficile aux praticiens d'obtenir ledit examen.
La hausse du nombre de services de chirurgie ambulatoire au détriment
des centres chirurgicaux hospitaliers, par exemple, illustre cette
tendance. En somme, lorsque les réseaux de santé atteignent une
certaine masse critique, ils provoquent une réorganisation structurelle
de loffre de soins, notamment en matière dinfrastructures
hospitalières.
De même, la diminution
du nombre et de l'intensité des soins, bien plus que leur coût,
auraient également contribué à la baisse des dépenses. Si cette
hypothèse est avérée, il est important de déterminer si la qualité
et les résultats des soins s'en trouvent affectés.
Les résultats de cette
étude confirmeraient la théorie du Dr Uwe Reinhardt, de l'Université
de Princetown. Ce dernier ne pense pas que le comportement des
médecins soit totalement influencé par des facteurs d'ordre économique.
Les médecins adopteraient un seul "style d'exercice" pour
tous leurs patients, quelle que soit le type de couverture maladie
de ces derniers. Ce "style" résulterait, d'après le Dr
Reinhardt, de l'enseignement reçu par le praticien au cours de ses
études, de la lecture de la littérature récente et de la formation
médicale continue, mais aussi de l'ajustement aux normes professionnelles
dominantes (cf. supra).
Les outils économiques,
bien qu'ils aient fait la preuve de leur utilité, s'avèrent donc
insuffisants lorsqu'il s'agit de mesurer des phénomènes influencés
par des facteurs sociologiques, tels que la pratique médicale.
En France, comment concilier pratiques en réseaux
et exercice classique ?
Lémergence des
réseaux de soins au sein du système actuel impose une réflexion
sur la coexistence de systèmes de prise en charge différents. Limpact
des réseaux sur les pratiques classiques mérite une observation
approfondie dans la mesure où de multiples modèles sont en cours
dexpérimentation : réseaux monopathologiques (asthme,
diabète, etc.), réseaux organisés autour de populations spécifiques
(personnes âges, etc.), filières de soins structurées autour dun
médecin référent, etc.
Linsertion de
pratiques en réseaux au sein du système traditionnel doit être appréciée
sur le plan médical, juridique, informatique culturel et économique,
pour pérenniser les programmes donnant satisfaction et permettre
la diffusion de leurs résultats. Cest pourquoi les pouvoirs
publics ne souhaitent pas que les réseaux donnent lieu à la création
de nouvelles entités juridiques. Ils doivent au contraire exploiter
les structures existantes, ou proposer la mise en uvre de
procédés prévus par la loi (ex : GIE détablissements
hospitaliers). Le Ministère et les Caisses dAssurance maladie
souhaitent éviter la multiplication des structures associatives,
souvent sous-critiques sur le plan organisationnel et financier,
et imparfaitement intégrées dans le système de soins. Diverses pistes
sont actuellement à létude pour donner aux réseaux de soins
un statut officiel sans bouleverser larchitecture institutionnelle
du système de santé. Il est notamment prévu dinscrire les
réseaux dans les SROS et de confier leur évaluation et une partie
de leur gestion aux Unions professionnelles de médecins libéraux.
[pour en savoir
+, cliquez ici]
"Larticulation
des pratique " est au cur des préoccupations formulées
par la Commission Soubie au regard des premiers dossiers qui lui
ont été soumis. Les réseaux ne sont pas des bulles dexercice
autonomes, ils doivent au contraire sintégrer dans le fonctionnement
classique du système de soins. Les pouvoirs publics se montrent
notamment soucieux de concilier les réseaux et loption du
médecin référent, dispositifs partiellement contradictoires en théorie
(une approche verticale avec les filières de soins, une approche
horizontale avec les réseaux).
Les systèmes dinformations structurent
les pratiques médicales, au sein des réseaux et au-delà ...
Un système dinformation
médicalisé constitue la principale infrastructure dun
réseau de soins. Il sert à former et informer les professionnels
de santé et les patients adhérents du réseau, il est le vecteur
de la coordination des soins et permet, grâce au recueil de données
médicales et économiques, de procéder à lévaluation du programme
expérimental. Au regard de cette triple fonction (information, coordination,
évaluation), les réseaux de soins favorisent linformatisation
des professionnels de santé et ladoption de méthodes de travail
nouvelles. Naturellement, lacquisition de compétences informatiques
influence les comportements des professionnels de santé pour lensemble
de leur pratique, et non seulement dans le cadre du réseau auquel
ils appartiennent. Il apparaît notamment que ladhésion à la
télétransmission des feuilles de soins (TFSE) passe souvent par
une prise en main préalable de loutil informatique à des fins
médicales et communautaires (ex : échanger des fichiers avec
les cabinets de radiologie et les laboratoires danalyse).
Autrement dit, la télétransmission ne constitue pas en soi une activité
susceptible de convaincre les médecins de sinformatiser et
de se connecter à lInternet ou au RSS, mais ils peuvent adhérer
au système SESAM-Vitale dans le cadre dun projet médico-informatique
plus large. Conscients de ce phénomène, les pouvoirs publics souhaitent
que les promoteurs de réseaux de soins intègrent un volet TFSE dans
leur projet.
Lobjectif des
réseaux de santé, à terme, est de disposer dun dossier médical
partagé entre tous les membres dune équipe de soins donnée.
En unifiant linformation relative à un patient quelles
que soient les techniques utilisées pour cela, un réseau normalise
les conditions de prise en charge et de coopération entre professionnels
de santé. A court terme, les professionnels tendent à employer une
messagerie électronique pour échanger des informations sur un mode
souple (contenu non structuré) et décentralisé. Or, le recours au
e-mail dans le cadre des réseaux influencent les habitudes en matière
déchanges dinformations. Les professionnels ont acquis
des réflexes, ils disposent dannuaires électroniques et composent
naturellement un style épistolaire adapté à leurs pratiques.
Dès lors, ils tendent à étendre lusage du mail à tous leurs
correspondants, à mesure que ces derniers se connectent à lInternet.
Cela ne signifie nullement
que lappartenance à un réseau de soin est une condition sine
qua non pour intégrer les nouvelles technologies dans sa
pratique quotidienne. De nombreux médecins ont appris à utiliser
le mail et les autres outils de lInternet en dehors de tout
réseau de soins, parfois simplement sous linfluence de leurs
enfants branchés.
Suite
et fin (3/3)
5 octobre 1999
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