Réseaux
et pratique médicale
L'exercice
au sein de réseaux de soins
influence-t-il loffre de soins
dans son ensemble ?
Cédric
Tournay, Gaëlle
Layani
5 octobre
1999
Suite et fin
(3/3)
Comment les pratiques en réseaux
peuvent-elles influencer les pratiques hors-réseaux ?
Sur le plan individuel,
cest-à-dire pour un professionnel de santé donné, lappartenance
à un réseaux de soins influence sa pratique générale de trois façons :
1. Ladhésion
à des règles de bonne pratique
2. La participation
à des sessions de Formation Médicale Continue
3. Ladhésion
à un projet de santé publique impliquant une démarche globale
Ladhésion
à des protocoles de bonne pratique
Les nouvelles pratiques promues
dans le cadre des réseaux de soins sont nombreuses : protocoles
de bonne pratique (guidelines), chartes de qualité, engagements
de formation, mise en uvre dactions de prévention et
de dépistage, dispositifs dauto-évaluation via des tableaux
de bord comparatifs, cercles de qualité et groupes de discussion,
audit des pratiques et évaluation directe par un tiers, contrôle
accru des patients sur les pratiques et les résultats, collaborations
formalisées avec tous les acteurs de la chaîne de soins (ville,
hôpital, secteur médico-social), utilisation partagée de nouveaux
outils de coordination (Intranet, messagerie, etc.).
En sus, les caisses
dassurance maladie souhaitent que les réseaux développent
des approches spécifiques dans les domaines suivants :
1. Elaboration
de plans de soins des patients par
lensemble des professionnels
concernés par un projet.
2. Dans
le cadre du plan de soins, la possibilité dun suivi de
larmoire à pharmacie, par les médecins ou les infirmiers,
pour certaines catégories de patients maintenus à domicile (personnes
âgées notamment). Cette approche permettrait de lutter contre le
mésusage du médicament (lié notamment à lautomédication) et
à optimiser lobservance des traitements prescrits.
3. Anticipation
de la réponse à lurgence et aux situations de crise :
le médecin organiserait, lors de lélaboration du plan de soins
et en accord avec son patient, la réponse à lurgence :
numéro dappel téléphonique, liste des professionnels disponibles
et modélisation du parcours de soins. Lobjectif est déviter
le passage par les services durgence et de bénéficier de lits
relais dans les services adaptés. Un tel dispositif permettrait
dassurer un suivi global du patient sans rupture de charges,
surtout au moment où il a le plus besoin dêtre accompagné
par une équipe qui le connaît.
Le passage à des pratiques
innovantes se traduit pas une évolution générale des comportements. Il
est à noter que les bonnes pratiques ne sont pas mises au point
par le réseau en déconnexion totale par rapport au monde médical
et scientifique. Elles sont évidemment déclinées des travaux de
recherche et des conférences de consensus propres à une pathologie.
Ces protocoles médicaux font lobjet dune reconnaissance
de la part de lANAES et de lAFSSAPS. Contrairement à
la pratique classique, où ladoption de règles définies en
consensus ne fait pas lobjet dun contrôle, lapplication
des guidelines au sein dun réseau donne lieu
à un suivi dans le cadre de lévaluation collective et individuelle
du réseau. En cela, les réseaux de soins constituent un vecteur
puissant de diffusion des référentiels de bonne pratique au sein
du corps médical. Ladoption scrupuleuse de ces règles pour
la pratique "en réseau" se traduit mécaniquement par une
application de règles similaires dans la pratique "hors résea "
pour un professionnel de santé donné.
En outre, les tâches
spécifiques assumées dans les réseaux de soins font progressivement
lobjet dune reconnaissance officielle, qui se traduit
notamment par une rémunération ad hoc. Les tâches
de coordination ou danimation du réseau deviennent ainsi une
activité à part entière. Lémergence de professionnels spécialisés
dans ces fonctions (sur le modèle des DIM hospitaliers) consacre
la particularité de ces prises en charge. Or, la dissociation de
lacte technique et des tâches dorganisation pourraient
faire lobjet, à terme, dune reconnaissance plus large.
Les médecins pourraient par exemple recevoir une rémunération forfaitaire
pour la gestion des dossiers médicaux électroniques.
La participation à
des sessions de FMC spécifiques
Il est expressément
prévu que les réseaux intègrent une dimension FMC. Cest même
un critère constitutif du réseau, articulé avec le projet médical
de la communauté qui sorganise ainsi (ex : prévenir les
complications liées au diabète par un suivi plus méthodique).
Limpact de la
FMC sur les pratiques ne porte pas seulement sur les domaines techniques
ou cliniques. Les formations organisées dans le cadre des réseaux
portent aussi sur les aspects informatiques, économiques et organisationnels.
La FMC relative aux réseaux de santé favorise notamment la diffusion
dune culture de lévaluation au sein du corps médical.
A partir des six questions clefs de lévaluation dun
réseau de santé, rappelées par lAnaes
dans son Livre Blanc, les professionnels peuvent se doter doutils
pratiques pour apprécier leur activité.
1. Le réseau a-t-il atteint ses objectifs ?
2. Quelle est la qualité des processus
mis en uvre et des résultats atteints ?
3. Les personnes prises en charge
sont-elles satisfaites ?
4. Quel est lapport spécifique
de lorganisation en réseau dans le degré datteinte
des objectifs, la qualité des processus et les résultats ?
5. Quels sont les coûts engendrés
par le réseau ?
6. Quels sont les effets indirects,
positifs ou négatifs, induits par le réseau ?
Lassociation
de la FMC et de lévaluation en réseaux produit un cycle vertueux
damélioration continue des processus de soins. Lenjeu,
pour un réseau, consiste évidemment à activer ce type de boucle
rétroactive.
Ladhésion
à une démarche globale de santé publique
Les réseaux doivent
concourir à lamélioration de la santé publique. En cela, ils
favorisent ladoption de pratiques de prévention, de dépistage
et de traitement des complications. Ils conduisent en outre les
médecins à adopter une vision globale de la prise en charge, notamment
au travers de leurs échanges avec les autres professionnels de santé.
A quel besoin cherchons-nous
à répondre ? Quel est lobjectif médico-sanitaire de notre
réseau ? Tous les promoteurs de programmes expérimentaux doivent
répondre à ces deux questions avant dengager quelque démarche
que ce soit. Un groupe de praticiens constate par exemple que le
système de santé nest pas organisé pour suivre les populations
à risque, nomades et déconnectées des services médico-sociaux. Il
leur faut donc imaginer de nouvelles formes dorganisation
pour dépister les patients atteints dhépatite C ou de sida,
et pour les faire entrer dans un processus de prise en charge.
Cette tournure desprit
modifie la façon dont les professionnels de santé perçoivent leur
engagement et leurs habitudes de travail. Obligés dadopter
une démarche globale et de collaborer avec tous les corps de métier
que compte le secteur santé (jusquaux ingénieurs, consultants
et statisticiens), les praticiens inventent une médecine analytique,
prospective et participative. Décrivant les changements quils
introduisent dans la pratique médicale, lAnaes donne la mesure
du bouleversement consacré par les réseaux :
Logique
des réseaux de santé
(Anaes, Principes
dévaluation des réseaux de santé)
|
Logique traditionnelle
|
Logique de
réseau
|
Cibles
des services de santé |
Des individus
|
Un groupe
|
Rôle
des professionnels de santé |
Répondre à une
demande
|
Répondre à un
besoin
|
Responsabilité
des professionnels dans la gestion |
Non (paiement
à lacte)
|
Oui (forfaitisation
au moins partielle)
|
Qui
planifie ? |
Les autorités
sanitaires
|
Les groupes concernés*
|
* : professionnels
en milieu ambulatoire, équipes hospitalières, autorités sanitaires
locales et nationales, associations de patients, etc.
Au départ, donc, les pouvoirs publics
et lassurance maladie ne jugent pas seulement la qualité dun
projet ; ils évaluent en priorité le besoin auquel le réseau
se propose de répondre. Dans son Livre Blanc exposant les Principes
dévaluation des réseaux de santé, lANAES pose
que "lévaluation des besoins, la planification et lévaluation
des réseaux de santé sont liées". Dans cette enquête dopportunité,
limplication des partenaires locaux et leur volonté de dépasser
les clivages traditionnels sont également regardés avec attention,
preuve que la promotion des réseaux de soins se fixe des objectifs
structurels, au regard des préoccupations de santé publique et dhabitudes
de travail au sein du corps médical.
Comment les réseaux de soins influencent-ils
le fonctionnement du système de santé ?
Dun point de
vue collectif, cest-à-dire en considérant le système de soins
dans son ensemble, linfluence des réseaux de santé sexerce
sur le moyen terme, en fonction des résultats démontrés par les
promoteurs de lexpérience. La diffusion des enseignements
du projet et la transformation du système de soins en fonction des
résultats observés dépendent alors dactions menées en commun
par les professionnels de santé, les pouvoirs publics et lassurance
maladie.
Les réseaux de soins
peuvent être considérés comme des laboratoires expérimentaux pour
lorganisation future du système de soins. En cela, il est
logique que leurs résultats, lorsquils sont probants, soient
déclinés dans la pratique normale. Dailleurs, les évolutions
possibles dun réseau au terme de la phase expérimentale (5
ans) doivent permettre de sélectionner les systèmes et les procédés
ayant apporté un bénéfice médical, économique ou organisationnel :
Décisions
possibles au terme de lexpérimentation
|
Raisons
|
Arrêt
|
Echec (évaluation
négative)
|
Reconduction
|
Lexpérience
ne permet pas de formuler un avis sur lintérêt des procédés
mis en uvre. La poursuite du programme doit permettre
une évaluation définitive.
|
Extension à dautres
sites
|
Lexpérience
est concluante. La diffusion des procédés mis en uvre
s'effectue par étape, sur un mode décentralisé (ex :
une ARH décide dappliquer un projet éprouvé ailleurs)
|
Prise en compte
des résultats dans le cadre dune réorganisation du système
de soins
|
Lexpérience
est concluante, et met en lumière des carences dans lorganisation
dune prise en charge. Les pouvoirs publics, lassurance
maladie et les professionnels de santé décident de généraliser
les procédés expérimentés.
|
Lorsque les résultats
dun programme expérimental sont particulièrement satisfaisants
et donnent lieu à une formalisation permettant de reproduire le
système, les pouvoirs publics et les partenaires conventionnels
peuvent envisager dadopter universellement cette pratique
expérimentale.
Un des critères servant
à lévaluation des réseaux de soins est donc la réplicabilité.
Une expérimentation en réseaux comporte une dimension scientifique
dans la mesure où la recette mise en uvre doit
pouvoir être reproduite dans une autre régions, avec dautres
professionnels de santé. Si le bon fonctionnement dun réseau
de soin nest dû quà une conjonction de facteurs particuliers
(équipe de médecins hors-pair, système dinformation super
efficace mais au prix rédhibitoire, etc.), alors ses résultats ne
peuvent pas être considérés comme probants. Parce quelle détermine
son évolution, lévaluation dun réseau est donc un moment
clef dans son fonctionnement. Elle est regardée avec dautant
plus dattention que létablissement dun réseau
de soins repose toujours sur le constat dune déficience, sur
le sentiment, partagé par les professionnels de santé, quils
ne parviennent pas à répondre à un besoin. Dès lors, lévaluation
dun programme expérimental est aussi le moment où un tiers
dit si la situation initiale a été corrigée. La faillite dun
réseau se traduit par une pérennisation des dysfonctionnement initiaux,
ce qui engendre une double frustration pour les professionnels impliqués
dans lexpérience.
Vus des patients, les
réseaux ne constituent pas encore un système facile à appréhender.
Les réseaux, de fait, nont pas fait lobjet dune
présentation au grand public. Le conflit apparu entre lOrdre
de Paris et les médecins généralistes ayant adhéré à loption
conventionnelle du " médecin référent " a montré
que la communication dans ce domaine était malaisée. Il est délicat,
voire illégal, de se prévaloir de son appartenance à un système
spécifique de prise en charge (réseau ou filière) puisquune
telle démarche, assimilable pour certains à de la publicité, contrevient
aux règles de la confraternité. Il est nécessaire quun accord
soit trouvé pour permettre la promotion des réseaux de soins, et
de leurs membres. Sans cela, les réseaux resteront dans les limbes,
sorte despace médical invisible et incompréhensible pour les
assurés sociaux.
Aujourdhui, les
patients traités dans les réseaux de soins constituent une infime
minorité. Pourtant, un grand nombre dassurés bénéficient,
sans le savoir, des premiers résultats du développement des réseaux.
Ce bénéfice indirect provient de la diffusion des bonnes pratiques.
Une fois quils ont adopté une certaine démarche pour les patients
dun programme expérimental, les médecins lappliquent
à tous leurs patients. En cela, certains assurés peuvent être considérés
comme les " passagers clandestins " des réseaux.
En effet, ils ne participent pas directement à son fonctionnement ;
ils nont pas pris dengagements et napportent pas
leur concours au projet mais perçoivent des bénéfices de ce réseau,
puisque leur prise en charge se trouve mécaniquement optimisée.
Il est trop tôt pour
évaluer les résultats induits par les réseaux de soins dans les
pratiques médicales et lorganisation générale des soins en
France. Toutefois, de nombreux enseignements peuvent déjà être tirés
des projets expérimentaux initiés depuis quelques années. Quil
sagisse du financement (cf. enjeu de la fongibilité des enveloppes
budgétaires), de lorganisation des systèmes dinformation
médicaux, de la FMC, de lévaluation ou de laccréditation
des établissements et des praticiens, de multiples chantiers sont
désormais ouverts.
Réagissez
à cet article
Retrouvez tous
les dossiers en Economie de la Santé.
5
octobre 1999
|