1998,
l'année de
tous les réseaux
Cédric
TOURNAY
2
janvier 1998
Le ministère
de la santé a annoncé le 31 décembre 1997 la sélection de Cegetel
comme opérateur du Réseau Santé Social (RSS). Cette décision, couplée
avec la nomination dun "Monsieur informatique médicale"
et lannonce du report de trois mois de la date butoir pour
lobtention de la prime à linformatisation, relance la
modernisation du système de soins. En attribuant le RSS à un outsider
de France Télécom, les pouvoirs publics semblent miser sur le dynamisme
dun opérateur émergent pour assurer le succès de lIntranet
le plus ambitieux sur le plan européen.
Lhistoire
industrielle est parfois faite de coïncidences éloquentes. Cegetel
remporte le marché le plus convoité du moment la veille de louverture
complète du marché des télécommunications en France.
Chargé de mettre en réseau plus de 300 000 professionnels de santé,
Cegetel est occupée par ailleurs à développer ses positions concurrentielles
vis-à-vis de France
Télécom, de Bouygues
Télécom et de lensemble des opérateurs attirés par les
marchés français, quil sagisse de téléphonie fixe, de
téléphonie mobile, de transfert de données, de connexions Internet
ou de services professionnels (British Telecom, Worldcom,
Sprint, etc).
A cet égard, les relations privilégiées que peut désormais nouer
Cegetel, filiale de la Compagnie
Générale des Eaux, avec les professionnels de santé, lui permettent
denvisager de nombreuses autres activités que la simple télétransmission
des feuilles de soins électroniques. Cegetel peut proposer aux médecins
de devenir pour eux un opérateur global, qu'il s'agisse de téléphonie
classique (via le 7), mobile ou de connexion Internet (Havas
on line, filiale de Cegetel, doit prochainement devenir Cegetelnet).
Comme câblo-opérateur, Cegetel pourra également proposer des services
spécifiques à des communautés de médecins, en matière de télémédecine
par exemple. Les médecins disposant dune connexion câblée
chez Cegetel pourraient ainsi, dans le cadre du RSS ou en marge
de celui-ci, séchanger des clichés de radio ou de scanner
de façon simple, rapide et sécurisée.
Le
choix de Cegetel a été établi à lunanimité au sein du Comité
chargé de sélectionner lopérateur du RSS. Ce comité, dirigé
par Christian Prieur et composé de 6 représentants des administrations
concernées et de 6 personnalités qualifiées, a fait valoir dans
sa décision que la candidature de Cegetel présentait des avantages
sur le plan "du prix, du coût dutilisation et de
ladaptabilité aux grands réseaux". Cegetel, qui
présente son projet comme un Extranet,
joue la carte de la neutralité par rapport au réseau des caisses
dassurance maladie, auquel le RSS sera évidemment connecté,
de lInternet, auquel il donnera accès, et des réseaux associés,
dont le développement permettra lapparition dapplications
médicales à forte valeur ajoutée.
Physiquement le RSS empruntera les infrastructures de Cegetel, notamment
les fibres optiques de Télécom Développement, la filiale commune
de Cegetel et de la SNCF.
Le
marché des opérateurs promis à
une recomposition prochaine
Dans
ce contexte, les réactions de France
Télécom, de La
Poste, de Cap
Gemini et de la Cegedim
ne devraient pas se faire attendre. Les opérateurs déçus par lappel
doffres devraient développer des services complémentaires
du RSS. France Télécom, leader des prestataires daccès Internet
via son service Wanadoo,
devrait notamment se positionner comme opérateur intermédiaire afin
de gérer la connexion des médecins au RSS et à lInternet.
Cap Gemini, pour sa part, a déjà réagi en proposant son service
Star santé. La Cegedim, enfin, devrait saccommoder dun
opérateur neutre pour développer ses activités de gestion dinformations
médico-économiques.
La
finalisation prochaine du contrat de service entre Cegetel et les
pouvoirs publics permettra dappréhender plus précisément limpact
de la mise en oeuvre du RSS, dont le lancement doit être initié
en avril 1998, en Bretagne, parallèlement à la mise en oeuvre de
SESAM-Vitale.
Il convient notamment de sinterroger sur la façon dont lactivité
de Cegetel structurera le paysage des systèmes dinformation
médicaux. Formation Médicale Continue, codage des actes et des pathologies,
Réseaux et filières de soins expérimentaux, PMSI : tous ces
chantiers seront, de près ou de loin, affectés par le déploiement
dun RSS plus ambitieux que les débats récents ne pouvaient
le laisser penser.
Dans
cette perspective, un dialogue entre les pouvoirs publics, Cegetel
et les acteurs du monde médical semble une étape incontournable
pour assurer le succès des projets informatiques et le respect des
intérêts de chaque acteur. Les syndicats, les Unions professionnelles
de médecins libéraux, les associations, les sociétés savantes, lOrdre
des médecins et les industriels du médicament ont tous entrepris
des chantiers pour optimiser lorganisation de leurs activités.
Les Unions professionnelles dAlsace, de Lorraine et de Bourgogne
pour ne citer quun exemple - développent actuellement
un réseau informatique pour concentrer des données épidémiologiques.
Il importe que les initiatives de ce type soient considérées lors
du déploiement du RSS pour que son "ouverture" se concrétise,
au profit de stratégies de soins coopératives.
En
outre, lInternet médical a atteint une masse critique
en termes dutilisateurs et de services proposés qui
interdit de considérer cet espace comme un simple appendice du RSS.
Comment sétabliront les relations entre ces deux réseaux ?
Comment les acteurs ayant investi du temps, de largent et
de lénergie sur le Web seront-ils invités à faire évoluer
leurs services ? Il suffit de considérer un instant la rubrique
"santé"
de Yahoo! France pour se persuader quun déménagement pur et
simple de tous ces sites ne peut pas être envisagé. Des passerelles
et des annuaires seront dautant plus nécessaires que tous
les professionnels et toutes les organisations représentatives ne
souhaiteront pas forcément développer leurs activités scientifiques
sur le RSS.
En outre, le développement de lInternet médical est si vigoureux
et si créatif que le RSS ne pourra que senrichir de ses développements.
Toute restriction nous entraînerait vers un scénario de type albanais
où la paupérisation des applications médicales nuirait à la fois
aux professionnels de santé, aux pouvoirs publics et aux industriels.
Seule louverture totale au cyberespace nous permettra dexploiter
les opportunités offertes, par exemple, par le développement des
systèmes de traduction automatique de la littérature médicale ou
les services de télémédecine à légard des pays en développement.
Un
arbitre pour incarner la politique informatique en santé
Afin
dassurer le bon déroulement du chantier RSS, Le Ministère
de la santé a créé une mission pour linformatisation du système
de santé, confiée à Noël Renaudin. Cet énarque, issu du ministère
des Finances, aura notamment pour tâche de garantir "le
respect des prescriptions de sécurité en matière de transmission
et daccès aux informations médicales" et de veiller
au respect "de règles déontologiques pour la conception
et la diffusion des services et logiciels offerts à travers le Réseau
Santé Social". Le rôle exact de ce nouveau Monsieur informatique
reste à préciser, sa mission supposant une coordination étroite
avec le GIE
SESAM-Vitale, le GIP CPS, le Haut Comité à linformatique
médicale présidé par Gérard Worms -, la Direction de la Sécurité
Sociale, la CNAMTS et les organisations médicales représentatives.
LOrdre des médecins pourrait notamment apporter son concours
et sa légitimité à une mission fondée sur le respect des règles
déontologiques.
Enfin,
le report au 31 mars 1998 de la date butoir pour lobtention
de la prime à linformisation constitue le troisième volet
dune offensive volontariste de la part des pouvoirs publics
pour dynamiser la mise en oeuvre des systèmes dinformation
médicaux. Jusquà ce jour, 1/3 des médecins ont, selon la CNAMTS,
renvoyé aux caisses locales le contrat permettant dobtenir
la prime de 9 000 francs contre lengagement de télétransmettre.
Une large majorité de médecins devraient suivre ce mouvement à présent
que le contexte est éclairci. Linformatisation se fera donc ;
avec elle, tous les projets peuvent être envisagés avec optimisme.
1998 est annoncée çà et là comme lannée de lInternet.
En France, elle sera également lannée de linformatique
médicale.
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