Les
Infomédiaires
De nouveaux intermédiaires
sur lInternet
Annexe
La
théorie économique :
nouveaux coûts de transaction et nouveaux intermédiaires
Comment expliquer en
termes économiques la croissance des intermédiaires Internet ?
On pronostique souvent la chute des intermédiaires devant la poussée
des technologies de linformation et les possibilités de contact
direct entre producteurs et acheteurs. Il est certain que de nombreuses
strates vont disparaître. Les clients ne voudront plus payer les
x % du prix final dun bien qui correspondent aux marges
des grossistes et des détaillants si des moyens dinformation
et de distribution efficaces sont mis en place par les producteurs.
Toutefois, ce raisonnement
ne doit pas être généralisé car il repose sur deux hypothèses réductrices,
comme le montrent des articles de Sarkar et Steinfield, et Steinfield
et Caby.
On suppose premièrement
que les nouvelles technologies de linformation réduisent à
zéro tous les coûts de transaction (recherche, achat, surveillance ),
et deuxièmement que les transactions entre agents sont simples et
non décomposables.
En réalité, les coûts
de transaction ne tendent pas systématiquement vers zéro avec
les nouvelles technologies de linformation. Des intermédiaires
sont renforcés ou émergent du fait même que tous les coûts de transaction
ne tendent pas vers zéro. Supposons un schéma simple à trois agents
(un producteur, un acheteur, un intermédiaire) et à deux périodes :
avant linstauration des nouvelles technologies de linformation,
et après. On se concentre sur la variation des coûts de transaction
entre la première période et la seconde. Soit T1, le coût de la
transaction directe entre le producteur et lacheteur et T2
la somme des coûts de transaction issus de la relation producteur-intermédiaire
et de la relation intermédiaire-acheteur. En passant de la première
période à la seconde, quatre cas de figure sont théoriquement possibles
selon que T1 est < ou > à T2 (avant les technologies de linformation)
et que T1< ou > à T2 (après les technologies de
linformation).
Avant
les NTI
T1<T2
(pas dintermédiaire avant NTI)
T1>T2
(intermédiaire avant NTI)
Après
les NTI
T1<T2
(pas dintermédiaire après NTI)
1- NTI
en parallèle au marché direct
2- Intermédiaires
menacés
T1>T2
(intermédiaire après NTI)
3- Cyber-intermédiaires
4- Intermédiaires
complétés par les NTI
1.
Dans la première case, il reste efficace pour les producteurs de
garder des liens directs avec les consommateurs, les NTI apparaissent
"parallèles" au marché direct (exemple dun marchand
de pizza qui se fait connaître sur lInternet et qui garde
une relation directe au consommateur).
2.
Le scénario 2 est celui des intermédiaires menacés par une réduction
des coûts de commercialisation directe, encourageant le court-circuitage
de la distribution traditionnelle (par exemple, la vente de vin
sur lInternet met en difficulté les grossistes et les négociants ;
la vente de CD fait concurrence aux magasins spécialisés).
3.
La case 3 représente la situation où apparaissent des cyber-intermédiaires.
Ce sont des intermédiaires qui se créent à partir déconomies
déchelle et de taille. Au milieu des années 1980, des chercheurs
du MIT ont annoncé lavènement de "créateurs de marchés"
électroniques (voir plus bas pour des exemples liés à lInternet).
La
thèse déconomistes américains du MIT au milieu
des années 1980 : les technologies de linformations
conduisent vers des relations plus marchandes (et par
la même vers des " créateurs de marchés ")
et moins hiérarchiques entre acteurs économiques.
Les
innovations dans les technologies de linformation
(" nouvelles technologies de linformation " :
NTI) ont réduit fortement ces vingt dernières années les
délais ainsi que les coûts de traitement et de transport
de linformation. Les NTI rendent à la fois la coordination
par le " marché " et la coordination
par la " hiérarchie " (à lintérieur
dune entreprise, ou entre deux entreprises lorsque
le fournisseur est unique) des partenaires plus efficaces,
mais ils conduisent globalement à un renversement vers
une plus grande coordination par le marché.
Le cur
de largumentation des auteurs peut être résumé comme
suit : la diminution des coûts de coordination avantage
plus le marché que la hiérarchie puisque le marché est
plus fortement consommateur defforts en coordination.
Les marchés deviennent plus attractifs.
Forme
organisationnelle
Coûts
de production
Coûts
de coordination
Marché
Faible
Fort
Hiérarchie
Fort
Faible
Toutefois,
il demeure des motifs de création des hiérarchies électroniques.
Il existe encore de nombreux cas où lon rencontre
de fortes spécificités dactifs et des descriptions
de produits complexes pour lesquels la hiérarchie électronique
est souhaitable. Il sagit notamment du développement
et de la distribution du produit.
Comme exemple
de ce basculement vers les marchés électroniques, les
auteurs choisissent les réservations dans les transports
aériens. A cause du plus grand éventail de choix disponibles
sur le marché électronique, la part dans le total des
réservations effectuées par les agences de voyage a fortement
augmenté par rapport aux réservations directes auprès
des compagnies aériennes. Les " créateurs de
marchés électroniques " devraient se multiplier.
Thomas
Malone, Joanne Yates et Robert Benjamin : " Electronics
markets and electronic hierarchies ", Communications
of the ACM, juin 1987, vol 30.
4.
Enfin, la case 4 montre la situation où des liens existants sont
pris en charge par les NTI (exemple des réseaux électroniques mis
en place par les grossistes répartiteurs dans la distribution du
médicament).
Les
grossistes répartiteurs : des intermédiaires qui
ont permis une baisse des coûts de transaction grâce à
un réseau dinformation et de distribution efficace.
Les grossistes
répartiteurs ont proposé de nouveaux services aux pharmacies
dofficine et fait baisser les coûts de transaction,
ce qui leur a permis de survivre :
Le réseau électronique
entre grossistes et détaillants a généré des économies
de coûts de transaction : le nombre de personnes
en charge des commandes a diminué de 60 % en dix ans,
les pharmaciens ont pu réduire considérablement leurs
stocks et le temps passé à traiter des commandes.
Les grossistes ont pu
proposer des services à valeur ajoutée destinés aux
pharmaciens : information sur les médicaments, aide
à la gestion dune officine, conseils sur la publicité,
les investissements, les traitements informatiques.
Le réseau opérationnel
est devenu un réseau stratégique : les fabricants ont
obtenu des informations fiables sur les médicaments,
cette transmission dinformation permet de négocier
dans des conditions plus favorables avec lEtat.
Les grossistes
européens ne devraient pas disparaître à court terme :
Il y a eu concentration
des grossistes et hausse de leur rentabilité.
Les grossistes ont anticipé
la stratégie des fabricants et ont atteint une taille
équivalente en fusionnant avec leurs homologues européens
et mondiaux.
LEtat impose de
livrer plus de deux fois par jour plus de 20 000 médicaments
sur tout le territoire
Les grossistes ont développé
une stratégie. internationale en acquérant des médicaments
à létranger.
Il y a peu davantages
à procéder par transactions directes entre pharmaciens
et laboratoires : les prix sont fixés par lEtat
et compte tenu de la contrainte duniversalité
dapprovisionnement et de la variabilité des commandes,
les gains commerciaux issus dune fonction de courtage
du réseau restent limités. Rappelons que le maillon
des grossistes génère une valeur ajoutée de lordre
de 7% avec un profit estimé à 2,5 %.
Laurence Caby, Christine
Jaeger : " Les usages des réseaux électroniques
et la structuration des marchés : le cas de la pharmacie
et de la publicité en France ". Revue Réseaux,
n°84.
Le cas n°3 correspond
donc à une relation directe transformée en relation intermédiée
une fois sur Internet. Internet génère de nouveaux coûts de recherche,
de vérification sur la fiabilité des sources Loin de signifier
une économie sans friction ("friction-less"),
il entraîne de nouveaux coûts de transaction et fait donc émerger
de nouveaux acteurs.
De plus, les intermédiaires
ne fournissent pas un service simple et unifié. Si on résume le
rôle dun intermédiaire à une activité simple de coordination,
on agrège et on sous-estime les services réellement rendus. On arrive
à la conclusion trompeuse que les échanges sont affectés de la même
façon par les nouvelles technologies de linformation.
De façon générale,
les intermédiaires rendent service au consommateur en assumant des
fonctions :
de recherche et dévaluation ;
didentification des besoins ;
de sélection des biens et services
en fonction de ces besoins ;
de prise en charge du risque consommateur
(garanties, retour des articles ) ;
de distribution du produit
Ils rendent service
aux producteurs :
en disséminant linformation
sur les produits ;
en influençant lachat ;
en remontant de linformation
sur les consommateurs
en assumant une partie du risque
producteur (vol, fraude, stocks ) ;
en générant des économies déchelle
sur les coûts de transaction.
Finalement, ils procèdent
à une intégration des besoins des consommateurs et des producteurs
et produisent un bouquet de services qui équilibre les souhaits
des producteurs et des consommateurs.
Cette analyse a le
mérite de rendre compte de la diversité des scénarios après introduction
des NTI. Tous les intermédiaires ne sont pas menacés, et un nouveau
type dintermédiaire émerge, le cyber-intermédiaire ("infomédiaire"
par la suite). Toutefois, elle repose entièrement sur lhypothèse
de minimisation des coûts de transaction. Dans la réalité, les entreprises
cherchent plutôt à maximiser le profit. Elles ne considèrent pas
uniquement les mécanismes de coordination avec les consommateurs
et les autres entreprises, mais aussi les mécanismes de production
quelles cherchent à réorganiser. De plus, certains acteurs
qui défendent leur rente ont le pouvoir de bloquer des évolutions
"rationnelles". Là aussi, des prévisions reposant sur
la seule minimisation des coûts de transaction peuvent être infirmées.
Enfin, si ce schéma donne des indications sur la source de la valeur
ajoutée, il ne rend pas compte des luttes qui existent dans chaque
secteur sur la "chaîne de valeur", luttes qui dépendent
des acteurs en présence et de leur poids capitalistique.