Juillet
1998
Cédric
TOURNAY
Chronique
d'une mort annoncée
On pourrait ranger
cet article dans une rubrique " nécro " si le
site Medcost en comportait une. Il est vrai que la disparition programmée
dun grand nombre de services Web pourrait justifier ce type
doraison funèbre. Healthcare News Server est notre site du
mois pour deux raisons :
-
Il ne vous reste
plus beaucoup de temps pour le visiter puisque ses
gestionnaires annoncent sa fermeture.
-
Léchec de
ce site, pourtant exemplaire sur le plan éditorial et graphique,
est riche denseignements pour les producteurs de contenu
que lEldorado numérique aveugle.
HealthCare news Server
est un site dinformations concernant lorganisation des
soins. Dédié aux médecins, aux infirmières et à lensemble
des professionnels de santé, il analyse lévolution des modes
de prise en charge aux Etats-Unis. Ce faisant, il permet également
aux patients de sinformer sur leur couverture maladie et de
comparer
les prestations dont ils jouissent avec les standards du marché.
On trouve ainsi sur le serveur une rubrique
consacrée aux producteurs de soins, une autre aux informations
financières, une troisième à lévolution
des technologies de linformation en santé et une dernière
relative aux dispositions
législatives et juridiques qui conditionnent lorganisation
des soins.
Bien que soutenu pas
une maison dédition de premier plan, Business
world, le site nest pas parvenu à décoller suffisamment
rapidement pour espérer devenir rentable. Avec une fréquentation
denviron 1 000 lecteurs par jour, les gestionnaires du service
ne pouvaient pas séduire les annonceurs publicitaires, dont les
subsides sont aujourdhui devenus le principal moteur économique
du développement du Web. En analysant
son échec, la rédaction constate que la compétition, au niveau
de loffre de contenus, est devenue si forte sur le Web quil
est devenu nécessaire dengager des dépenses de promotion fantastiques
pour gagner quelques lecteurs. Autrement dit, les responsables ne
pouvaient pas sattendre à constituer un lectorat significatif
et fidèle avant plusieurs années. On remarquera, au passage, que
le pouvoir de prescription de la presse traditionnelle et de la
télévision demeure puissant : la promotion dun site Web
doit se faire par ces canaux pour être efficace. Or, le poids économique
comparé des médias traditionnels et de lInternet reste très
favorable aux premiers. En somme, un spot télé reste beaucoup trop
coûteux par rapport aux revenus quil peut apporter
avec les flux daudience - au gestionnaire de site Web.
Pour information, voici
quelques enseignements que tire léquipe de HealthCare News
Server de son échec.
-
Les annonceurs
médicaux et pharmaceutiques ne disposent pas despaces
adaptés à leurs besoins sur le Web.
-
La plupart des sites
médicaux produisent les mêmes informations, à partir dun
nombre réduit de sources.
-
Actualiser un site
Web avec un contenu intéressant, original pourra attirer les
lecteurs à terme mais leffort de séduction sera douloureux.
-
Une campagne publicitaire
dans la presse traditionnelle doit être longue et massive pour
attirer les lecteurs sur un site Web.
-
La marque joue
un rôle majeur dans lattraction de lecteurs. En cela,
les grands groupes de publication ont un avantage concurrentiel
vis-à-vis des start-up (jeunes entreprises) dans lanimation
de services en ligne.
-
Les annonceurs médicaux
et pharmaceutiques ne devraient sengager massivement dans
la publicité en ligne que dici 2 ou 3 ans.
-
Les sites jouent
la carte de lactualisation en reprenant des informations
issues dorganes de presse comme PR wires, Reuters health
ou AP. La production de contenus originaux (par une équipe dédiée)
savérera payante à condition de trouver le bon équilibre
(une équipe trop large ne sera pas rentable avant longtemps).
-
Une équipe éditoriale
modeste peut animer efficacement un site (léquipe de Health
Care News Server comprenait 5 journalistes, un webmestre et
un rédacteur en chef) mais ce type de formation reste très coûteux.
-
Les liens hypertextes
sont fortement appréciés par les utilisateurs du Web. Ils enrichissent
les contenus et permettent une ouverture vers dautres
sites.
-
. Sur le Web, les
lecteurs préfèrent les articles courts et " punchy ".
-
. Les lecteurs
continueront de recourir à la presse classique pour les articles
danalyse (" in-depth pieces ") et
les contenus exclusifs, quaucun site Web ne peut produire
de façon rentable aujourdhui.
-
. Les budgets marketing
consacrés à lInternet sajouteront aux ressources
consacrées aujourdhui aux autres médias. Les gens continueront
de lire des journaux, téléphoner, utiliser le fax et regarder
la télévision. Les ressources publicitaires ne seront donc pas
retirées de ces moyens de communication pour être transférées
sur la communication Internet. De multiples stratégies marketing
devraient être expérimentées sur lInternet dans les années
qui viennent, ce qui donnera lieu à des démarches originales
et complémentaires, en fonction des produits et des publics
cibles.
-
. Le groupe IDG,
éditeurs de magazines informatiques, possède déjà plus de 200
sites consacrés aux ordinateurs, aux réseaux et aux logiciels.
Ils adhèrent à léthique et au mode classique dédition
(séparation entre les contenus éditoriaux et la publicité notamment).
IDG est le meilleur modèle pour les éditeurs du monde de la
santé. Cnet
et son site News.com
est également une bonne référence.
-
. Les moteurs de
recherche offrent déjà beaucoup de contenus médicaux issus de
partenariats avec Reuters ou dautres éditeurs. Ils seront
des concurrents majeurs pour les gestionnaires de sites spécialisés
en santé.
-
. Créer des communautés
interactives pour les managers du monde médical (HMO
et assureurs santé) et pharmaceutique est une fausse bonne idée.
La concurrence de ces marchés les pousse à la confidentialité
et au non partage de linformation. Ils se comportent en
" spectateurs " (" lurkers "),
non en participants.
-
. Les communautés
interactives de praticiens, dinfirmières et dautres
professionnels de santé devraient connaître plus de succès pourvu
que des espaces dédiés leur soient proposés.
Le monde numérique
na pas encore codifié ses rites funéraires. On ne retire pas
de la toile les sites mourants. Ils y restent, le coût (financier
et psychologique) dun retrait étant presque plus élevé que
le coût du maintien en ligne du site. Health Care News Server repose
donc à son adresse, offrant aux visiteurs le même visage que celui
quil proposait le jour où ses géniteurs ont cessé de lalimenter.
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