Les
tendances
Cédric
TOURNAY
10 décembre
1999
Suite et fin (5/5)
Le gourou marketing et la mise
en scène de lentreprise
Leffervescence
du Web permet même aux start-up dinventer un style de communication
autocentré, par lequel elles mettent en avant leur image de marque,
leur style de management ou leur histoire, courte mais impressionnante.
Dans cette veine, le
portail suédois Spray sest installé en France en octobre 1999,
déployant une armada impressionnante et communiquant à outrance
sur le style décontractée de cette start-up, autoproclamée inventrice
du funky business. Cette auto-promotion relève dune
stratégie de différenciation par rapport aux portails en place (Yahoo,
Excite, Wanadoo, etc.) et permet en outre à Spray dattirer
de jeunes talents dans la filiale française.
" Le
"funky model" est d'abord un art de la séduction, de
l'"attraction globale". Une entreprise de l'Internet
doit tout faire pour plaire à ses clients, mais aussi à ses salariés,
à tous ceux qui gravitent autour d'elle. "Avec l'Internet,
tout le monde est libre. Il n'y a pas d'utilisateur, ni d'employé
captif, d'argent, de partenaire captifs. Tout est en mouvement.
C'est un jeu de séduction permanent." Jeu qui consiste à
transformer l'entreprise en "une machine d'attraction",
un aimant, une colle. "L'implication concerne tout ce que
nous faisons: l'éthique, l'esthétique, les fonctionnalités. Comment
nous traitons les employés, les utilisateurs. Si nous perdons
l'attraction, c'est fini."
Kjell Nordström, patron
de Spray et chercheur à la Stockholm School of Economics, a même
écrit un livre pour donner sa vision du Funky business et
promouvoir le style Spray.
Cest aussi une
tendance marketing forte : pour promouvoir un site, il est
bon que le dirigeant de la start-up accède au statut de gourou,
expert patenté du Web délivrant son avis sur lévolution générale
du média. La visibilité du site et de lentreprise sen
trouvent accrus sans budget publicitaire supplémentaire. Surtout,
la start-up peut ainsi imprimer sa marque aux tendances du Net (comme
le fait Yahoo) et construire un capital notoriété/sympathie sur
une base personnelle, propre à renforcer lattractivité du
service.
La fidélisation par le don
L'Internet favorise
lémergence dune économie du donnant-donnant, où le consommateur
est mis en position de négocier son attention face à la multitude
doffreurs qui tentent de lintéresser.
Pour capter et retenir
les internautes, les entreprises sont prêtes à leur proposer des
abonnements Internet gratuits, des ordinateurs, des voyages et plein
dautres cadeaux. Convaincus quil faut dabord construire
une audience pour ne la rentabiliser que dans un second temps, les
acteurs du Web utilisent massivement le don comme larme ultime
de captation des utilisateurs. Faute de mieux, ils justifient les
sommes investies dans ces programmes de fidélisation par la constitution
de bases micromarketing.
A lextrême, on
peut imaginer de vendre sur le web un billet de 100 $ au prix
discount de 95 $. Le seul trafic généré par cette offre assurerait
assez de revenus publicitaires pour faire des profits. Bernard Maître,
auteur de louvrage Les Business Models de la nouvelle
économie, évoque dans cet ouvrage ce cas absurde pour illustrer
le passage aux modèles de la nouvelle économie. Nous nen sommes
pas encore là, mais nous nen sommes pas loin, comme le montrent
lexplosion des systèmes de couponning électronique ou le développement
du surf rémunéré.
Le couponning
électronique
Les systèmes de coupon
connaissent un engouement important sur le Web, de la part des internautes
(qui y trouvent un intérêt direct) comme des opérateurs (qui y voient
un outil de fidélisation puissant).
Aux Etats-Unis, un
tiers des acheteurs en ligne recourent aux coupons électroniques.
Une récente étude du cabinet NPD Online a révélé que le nombre d'acheteurs
en ligne utilisant des coupons était passé de 23% en mars 99 à 30%
au mois d'octobre. Dans le même temps, la connaissance de ces services
de e-couponing a progressé au même rythme dans la population des
internautes (49% en avaient entendu parler en mars et 59% en octobre).
Enfin, 80% des internautes informés de ces services se disent prêts
à y recourir dans un futur proche.
Le e-couponning donne
naissance à une véritable industrie, intégrée dans les systèmes
de commerce électronique. En décembre 1999, les deux principaux
acteurs de ces programmes de fidélisation, Beenz.com
et Flooz.com,
ont annoncé un partenariat permettant la convertibilité réciproque
de leur monnaie électronique. Comme nous lannoncions en novembre
1999 [cf. notre
article sur le Beenz], la transformation de ces outils en devises
est bien en cours. En France, des systèmes équivalents ont déjà
vu le jour, notamment à linitiative de ConsoData, opérateur
du système Consowin.
Le couponning débarque
également dans le monde médical, comme lillustre lopération
initiée par la filiale américaine dAstra. Celle-ci offre en
effet des bons de réduction de 10% aux acheteurs de Prilosec (oméprazole).
Pour bénéficier de cette offre réservée aux résidents américains
il suffit dimprimer le coupon proposé sur le site Acidcontrol.com
et de ladresser au laboratoire en joignant un double de la
prescription et du ticket dachat. Cette stratégie marketing,
audacieuse, cumule les recettes gagnantes du Web médical :
une marque puissante dédiée au Web (Acidcontrol), une
démarche de fidélisation fondée sur le couponning, la construction
dune base de contacts permettant dentretenir linteractivité
avec les patients (qui achète Prilosec ? Où ? Après avoir
vu quel prescripteur ?).
Le surf
rémunéré
AllAdvantage.com
est un service qui paye les internautes pour qu'ils utilisent sa
plate-forme de connexion à lInternet. Il connaît actuellement
un succès phénoménal puisque 3 millions dinternautes ont choisi
cet opérateur quelques mois après le lancement du service. En échange,
les utilisateurs acceptent quun écran de publicité occupe
constamment son logiciel de navigation, tout en comptabilisant le
temps passé sur le Web. Linternaute est rémunéré 50 cents
(3 francs) de l'heure. Si les annonceurs suivent, le modèle
économique devrait savérer viable pour les opérateurs positionnés
sur le créneau du GP2S ("Get Paid to Surf").
Le concept devrait
dailleurs connaître toutes sortes dextensions, au moins
en phase expérimentale. Pour entrer sur le marché convoité des fournisseurs
de Webmails gratuits (Hotamail, Caramail, etc.), certains opérateurs
prévoient de proposer une rémunération aux internautes qui créeront
un compte chez eux. A vrai dire, tout peut être imaginé aujourdhui,
pourvu quun payeur ultime (lannonceur) finance par la
publicité les prodigalités des sites Web :
Forums de discussion rémunérant les
bavards,
Moteur de recherche rémunérant les chercheurs,
Casinos virtuels rémunérant les parieurs,
Jeux vidéos en ligne rémunérant les joueurs,
Sites de cybersexe rémunérant les érotomanes,
Sites médicaux rémunérant les médecins,
Start-up rémunérant les utilisateurs de leur service en stock-options,
Etc.
La multitude de services
développés sur ces créneaux laisse songeur. Sagit-il dune
nouvelle forme de distribution, consacrant un partage de valeur
différent entre le consommateur, lintermédiaire et le producteur ?
La mode actuelle nest-elle pas, au contraire, quune
excroissance irrationnelle de "léconomie casino"
à laquelle ressemble parfois le Web, et dont le développement est
permis mais pour combien de temps encore par les investissements
des capitaux-risqueurs ?
Il
est évidemment trop tôt pour trancher cette question. Dun
côté, des sites comme CashSurfers,
Iwin ou Prizecentral
affichent une santé et une popularité insolente. De lautre,
léquilibre économique et lacceptabilité culturelle de
ce type de systèmes semblent sujets à caution.
Si la gratuité nest
pas un modèle viable sur le long terme, léconomie du don lest
encore moins. Le consommateur internaute prend progressivement conscience
quil sacquitte de "coûts cachés" de plus en
plus importants dans ses achats, léquilibre global du système
devant être assuré.
Conclusion :
lexplosion de la pub à lancienne
La promotion des services
en ligne devient une activité complexe et coûteuse. Linnovation
et ladéquation avec la cible visée constituent évidemment
des conditions sine qua non pour être entendu. A ce jeu,
il ne suffit pas de décliner les quelques recettes présentées ci-dessus.
La communication publicitaire tous azimuts (aussi appelée carpet
bombing chez les publicitaires américains) reste le moyen
privilégié de faire connaître ladresse dun site.
Devenu un média de
masse, le Web français voit se développer des stratégies marketing
classiques, où le budget publicitaire est le principal facteur clef
de succès. Télévision, presse, culs de bus, panneaux daffichage,
cinéma, radio : tous les supports sont aujourdhui accaparés
par les sites Web.
Spray
France aura par exemple consacré un budget de 13 millions de
francs à sa campagne de lancement entre le 15 novembre 1999
et le 31 janvier 2000. Les spots publicitaires aux heures
de grande audience à la télévision, laffichage terrain et
les spots dans les salles de cinéma sont devenus un must pour se
faire connaître. Les spots eux-mêmes doivent être percutants (pour
être mémorisés), originaux (pour se différencier), pédagogiques
(il est encore difficile de parler du Web au grand public), métaphoriques
(personne nose montrer des pages-écrans pour parler de son
service) et drôles (pour coller à limage du Web). Un challenge
pour les publicitaires, a fortiori quand les budgets sont
contraints
Boo, avec son spot décalé mettant en
scène des ados demeurés habillés de façon ringarde et engagés dans
une séance de gym pitoyable dans un wagon de métro, a réussi à concilier
ces contraintes.
Naturellement, ces
campagnes de communication doivent tirer parti des techniques marketing
propres au Web. Pour réussir à imposer une marque électronique,
les annonceurs doivent prendre en compte les flux dutilisateurs
que le service cherche à drainer, et les effets denchaînement
souhaités. Chaque opérateur, en fonction de son positionnement,
adoptera alors un message et un jeu dinfluences spécifique.
Boo.com,
site de commerce de vêtements, exploite par exemple les dynamiques
dadoption des modes vestimentaires à luvre dans
les pays occidentaux. Les jeunes urbains créent les tendances, le
grand public les adopte ensuite par mimétisme. Comme le déclarait
un responsable du site lors de son lancement, "lentreprise
commence par cibler les time rich, cash poor (riches
en temps, pauvres en argent, TRCP). Des moins de 25 ans, qui
ne gagnent pas encore leur vie, mais sont suractifs, impriment les
tendances et entretiennent le buzz. Les time poor, cash rich
(pauvres en temps, riches en argent, TPCR) leur emboîtent le pas.
Ce sont eux qui consomment sur le site ".
Pour cibler les TRCP,
Boo.com a mis en uvre un "marketing pyramidal",
en commençant par une campagne de publicité très sobre dans des
titres branchés de la presse anglaise (Wallpaper, Dazed & Confused,
etc.). Ensuite, c'est par le bouche à oreille que le "buzz"
sest propagé aux TRCP, Boo.com favorisant le "street
marketing" : les adeptes de la marque propagent la référence
(et lURL du site) via des produits dérivés (chapeaux, freesbees,
skates, etc.) offerts par le site. Jouant à fond sur la récupération
des cultures urbaines, Boo.com a persévéré dans cette stratégie
en développant des campagnes de "guerilla marketing" consistant
à sponsoriser des soirées underground et à coller des affichettes
dans les rues de façon sauvage.
Cet exemple montre
à quel point il est devenu crucial dassocier les techniques
marketing propres aux Web et les stratégies publicitaires classiques.
Aux Etats-Unis, certaines agences de communication se sont dailleurs
spécialisées sur le créneau du "street marketing", comme
lagence www.m80im.com.
On peut le regretter, mais ces techniques modernes de promotion,
qui incorporent une part de manipulation directe des cibles, ont
fait la preuve de leur efficacité, notamment en direction des jeunes
consommateurs.
En somme, les nouvelles
stratégies marketing doivent rester secrètes pour être efficaces.
Pour réussir son positionnement, un site Web ne doit pas laisser
transparaître lartillerie lourde dont il dispose et ses plans
de développement industriel. Linternaute doit conserver limpression
daccéder à un site apparu spontanément et géré de façon artisanale,
comme aux débuts du Web, lorsque la gratuité était réelle et que
la nétiquette était respectée. Il ne doit pas se sentir piégé par
quelque media planning astucieux ou transformé en contact,
utile avant tout à la valorisation boursière du service.
Réagissez
à cet article
Retrouvez
tous les autres
articles de la rubrique Internet Médical.
|