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Novembre 1998

Comment réussir l'informatisation
des systèmes de santé ?

De la dématérialisation des feuilles de soins à la médecine électronique : comparaisons internationales

Laurent ALEXANDRE, Cédric TOURNAY,
Claude MALHURET
, Christophe CLEMENT,
Vincent REY DU BOISSIEU

20  novembre 1998
Suite (2/5)

 

Healtheon : l’échec d’une plate-forme privée d’interconnexion

La société Healtheon a été lancée en 1995 par Jim Clark, également fondateur de Silicon Graphics puis de Netscape. Il bénéficiait à l’époque d’une confiance aveugle de la part des investisseurs et des industriels. Aucun doute : le secteur de la santé allait succomber aux charmes du gourou du Web et à ses idées forcément géniales. Trois ans après, le constat est plutôt décevant.

Dans un récent article de Wired, le magazine phare de la Cyberculture, l’ambition initiale de Jim Clark était résumée par la formule " HMO + TCP = IPO ". En additionnant organisations médicales (HMO : Health Maintenance Organization) et protocole de transmission de l’information sur l’Internet (TCP : Transfer Control Protocol), l’industriel à l’origine de l’équation devait aboutir à un résultat positif par l’introduction en bourse de la société dédiée à cette activité (IPO : Initial Public Offering). En somme, Jim Clark comme d’autres industriels américains escomptait gagner beaucoup d’argent en célébrant les noces du corps médical avec l’Internet. Or, Healtheon vient de renoncer à s’introduire en bourse, la conjoncture étant peu favorable et les résultats de l’entreprise décevants par rapport aux attentes placées en elle.

Le pari de Jim Clark reposait sur l’idée qu’un certain nombre de ressources étaient mal utilisées en santé. Selon différentes études, les actes inutiles ou redondants ainsi que les " gâchis administratifs " représenteraient aux Etats-Unis quelque 276 milliards de dollars, soit environ 1 500 milliards de francs (l’équivalent du budget français). Cette somme est à rapprocher du budget colossal consacré chaque année à la santé aux Etats-Unis : 1 000 milliards de dollars (5 000 milliards de francs), soit 1/7 °du PIB américain. En rendant le système plus efficace et en améliorant la circulation de l’information, Jim Clark escomptait récupérer une partie significative des économies permises par son système. Comme le confesse aujourd’hui Jim Clark, il croyait à l’époque que la santé était une industrie inefficace. La réalité est éminemment plus compliquée. En outre, de nombreux acteurs ont le sentiment de posséder une solution miracle aux dysfonctionnements du système, oubliant qu’un grand nombre de personnes recherchent activement ces solutions depuis longtemps. Jim Clark reconnaît aujourd’hui qu’il a fait preuve à l’époque de vanité : " I didn’t think in recent years there were many talented people focused on it ".

L’objectif d’Healtheon s’énonçait de la façon suivante : remplacer les milliers de systèmes propriétaires, désuets et incompatibles par une plate-forme unique fondée sur les technologies Internet/Intranet. Cette vaste modernisation devait profiter aux assureurs, aux employeurs, aux hôpitaux, aux laboratoires pharmaceutiques, aux pharmacies, aux laboratoires d’analyses et aux médecins de ville. L’objectif rappelle la fonction assignée au RSS, la Convention de service public en moins. Jim Clark comptait en outre mettre son système au service des patients pour qu’ils puissent suivre leurs plans de soins et comparer les performances des HMO et des hôpitaux.

Ambitieuse, Healtheon annonça en 1996 qu’elle aurait conclu des accords de gestion avec la plupart des organisations de soins américaines avant la fin de 1997. Ce plan dut être revu à la baisse. Aujourd’hui, en effet, Healtheon ne compte pour clients que 4 assureurs, pour qui elle assure la gestion des ordonnances (claim processing) : United Healthcare, Sun Life of Canada, Blue Shield of California, et Blue Cross Blue Shield of Massachussetts. Pour l’homme qui a transformé le Web en média grand public, l’échec est de taille. En trois ans d’exercice, la société a réalisé un chiffre d’affaires cumulé de 47 millions de dollars (235 millions de francs environ) pour une perte nette de 73 millions de dollars (365 millions de francs environ). Elle pense rester déficitaire jusqu’en l’an 2 000. Il est vrai que les succès commerciaux d’Healtheon se poursuivent, permettant au groupe de continuer à croire à sa bonne étoile. Healtheon vient ainsi de signer un accord de partenariat avec Beech Street, le plus important PPO américain (Preferred Providers Organization) qui rassemble en effet 3 600 hôpitaux et 270 000 médecins dans 49 Etats et apporte ses services à près de 18 millions d’assurés américains.

Loin de se décourager, la société s’est lancée dans une fuite en avant. Au cours du premier semestre 1998, elle a procédé au rachat d’ActaMed et de Metis, sociétés spécialisées dans la gestion de réseaux d’informations médicales. Elle a présenté sa suite d’outils, Racer, à travers tous le pays et mis en place une gigantesque stratégie de séduction des investisseurs, en prévision de son entrée en bourse. Par un euphémisme que les marchés ont depuis longtemps appris à décoder, Jim Clark entretenait les espoirs placés en lui en indiquant dans un récent rapport aux investisseurs que " le monde de la santé résiste fortement à l’adoption des nouvelles technologies de l’information ".

Face à  la difficulté de conclure des partenariats avec les assureurs et les organisations de soins, Jim Clark a pensé trouvé son salut chez les professionnels de santé. L’idée était de les équiper et de leur faire utiliser les technologies mises au point par Healtheon. Les médecins américains sont exaspérés par l’importance des flux papiers et des échanges téléphoniques que les organisations de managed care leur demande de gérer. Un système informatique simple, universel et peu coûteux pouvait séduire les médecins en les soulageant de tâches administratives.

Certaines organisations de médecins sont plus réceptives que les HMO traditionnels aux arguments d’Healtheon. C’est notamment le cas des Associations de Médecins Indépendants (IPA pour Independant Physicians Association). Les IPA passent des contrats avec les HMO pour prendre en charge des patients à partir d’un forfait de santé mensuel ou d’une rémunération à l’acte. Ces associations assument la gestion administrative de leur activité, depuis les agréments pour adresser des patients vers les médecins spécialistes jusqu’à la gestion des échanges d’informations avec les laboratoires d’analyses. Relativement récentes et dotées d’un mode de fonctionnement plus souple que les HMO, ces entités ne sont pas embolisées par des outils informatiques propriétaires. Elles peuvent donc adopter les technologies Internet/Intranet à moindre frais sans se préoccuper de l’existant. A l’instar de Brown & Toland, IPA regroupant 1 200 médecins ayant en charge 200 000 patients, elles peuvent donc adopter la solution Racer d’Healtheon et fonctionner rapidement avec une technologie dernier cri, universelle, légère et décentralisée (comme il convient pour la médecine de ville). L’adoption d’un système de gestion médical et médico-administratif reste cependant cher pour ce type d’acteurs. Brown & Toland déboursera 25 millions de dollars sur trois ans (115 millions de francs) pour bénéficier de la plate-forme Healtheon. L’informatisation de cette communauté médicale représente donc un coût de 96 000 francs par médecin. Il est vraisemblable que le coût de mise en œuvre du RSS et de SESAM-Vitale représente un coût par médecin inférieur à ce montant. Les médecins de Brown & Toland sont néanmoins satisfaits de leur investissement puisqu’il leur permettra d’accueillir 25% d’assurés supplémentaires sans remettre en cause leur organisation et sans recruter de nouveaux personnels administratifs.

En outre, Racer permet à Brown & Toland de réaliser des économies substantielles sur la prise en charge des patients puisque l’outil offre un suivi en temps réel de l’activité au sein du réseau. Auparavant, le contrôle de gestion et l’évaluation des pratiques nécessitaient un laps de temps d’environ 4 mois. Il était donc difficile d’engager une action rapide pour corriger les dysfonctionnements observés. Aujourd’hui, le système d’information permet de détecter les médecins qui ont tendance à envoyer trop souvent leurs patients chez leurs confrères spécialistes pour des problèmes de routine, ceux qui recourent à des techniques coûteuses (chirurgicales par exemple) lorsqu’un traitement médicamenteux aurait suffi et ceux qui sont trop souvent (et pour des raisons injustifiées) en dehors des guidelines éditées par les HMO. Dans chaque cas, les médecins sont contrôlés et conseillés par leurs pairs, conformément à une charte signée lors de leur entrée dans le réseau. Les économies réalisées permettent d’améliorer les revenus des médecins (puisqu’ils supportent collectivement le risque financier du réseau) ainsi que leurs conditions de travail.

En dépit de cet exemple, atypique, les observateurs américains considèrent que le monde de la santé est trop conservateur et trop balkanisé pour accepter facilement des technologies ouvertes et souples. Le caractère byzantin des procédures de gestion des dossiers des assurés (dossiers administratif et médical) permet à un assureur ou à un HMO d’entraver le passage des patients d’une organisation à une autre. Les technologies informatiques propriétaires sont donc exploitées comme des barrières à la sortie. On comprend que ces acteurs ne souhaitent pas s’ouvrir sur le monde et disposer de systèmes plus universels.

La myriade d’hôpitaux et d’assureurs américains continue donc d’entretenir un réseau pléthorique de prestataires informatiques de toutes tailles et de tous styles. On compte environ 5 000 sociétés informatiques spécialisées en santé aux Etats-Unis. Toutes proposent des systèmes et des logiciels spécifiques. Si certaines, comme Cerner, ont une taille respectable (le groupe réalise un chiffre d’affaires d’environ 2 milliards de francs), la plupart sont de petites entreprises incapables de répondre aux évolutions actuelles. Dans ce domaine, la situation française n’est pas atypique. Il y a même fort à parier que le paysage des éditeurs de logiciels médicaux serait encore plus atomisé dans un marché que la puissance publique n’inciterait pas à se normaliser, via le programme SESAM-Vitale. Aux Etats-Unis comme en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni, l’enjeu pour toutes ces sociétés consiste aujourd’hui à organiser leurs services et leurs produits en synergie avec le monde Internet-Intranet, dont les standards influencent l’évolution de toute l’informatique. Aux Etats-Unis, tous les éditeurs gardent un œil sur Healtheon et cherchent la façon d’interfacer leurs logiciels avec cette plate-forme TCP/IP qui pourrait bien, avec un peu de chance, devenir une sorte de RSS américain. Comme l’indique un consultant du Gartner Group, " tout le monde se rapproche progressivement du modèle promu par Healtheon ". L’analyste ajoute que ce big-bang technologique qui affecte le monde de la santé provoque une redéfinition des équilibres concurrentiels, comme pour les autres secteurs d’activité. Les leaders de l’informatique médical – Cerner, HBO, Shared Medical Systems et IDX Systems – cherchent tous à transposer leurs réseaux et leurs solutions logicielles sur l’Internet.

Pour répondre aux enjeux auxquels ils sont confrontés, les acteurs américains de l’informatique médicale se sont engagés dans un mouvement de concentration. Les principales faiblesses des industriels résident en effet dans leurs réseaux de distribution et dans leur manque de moyens en recherche et en développement, à un moment ou la multiplication des chantiers d’envergure requiert davantage de ressources. En se regroupant, les éditeurs visent à acquérir la dimension nationale qui manque à beaucoup d’entre eux. La fusion des réseaux de distribution permet en outre de donner une masse critique aux fonctions de service après-vente, particulièrement difficiles à gérer dans ce domaine.

En outre, la concentration du marché est un mouvement naturel si on tient compte de la dynamique globale du secteur santé américain : dans une filière d’activité où la majorité des métiers (industrie pharmaceutique, centres de soins, HMO, distributeurs, pharmaciens) connaissent une phase de concentration, le reste des acteurs doit suivre le mouvement pour conserver un pouvoir de négociation équivalent au sein de la filière. Pour ne prendre qu’un exemple, les éditeurs américains qui commercialisent des solutions de gestion des officines doivent maintenant négocier leurs services et leurs coûts avec des chaînes de pharmacie qui, à l’instar de CVS, peuvent compter jusqu’à 4 000 points de vente répartis sur tout le territoire. Le prestataire doit avoir une présence aussi forte et un poids équivalent pour négocier ses prestations dans des conditions d’égalité.

HBO, un des principaux éditeurs médicaux, vient ainsi d’acquérir la société IMNET Systems, autre spécialiste de la gestion documentaire pour le monde de la santé. IMNET a réalisé en 1998 un chiffre d’affaires de 55 millions de dollars (275 millions de francs) et compte environ 500 clients. Convergent Communications et Strategic Healthcare Solutions, pour leur part, ont préféré conclure un partenariat, annoncé à la fin octobre. SHS se rapproche ainsi d’un acteur de télécommunications de premier plan, capable d’offrir à ses clients des réseaux hauts débits étendus, parfaitement adaptés aux communautés de soins. Sur un marché où la puissance publique ne souhaite pas – ou ne parvient pas – à susciter une dynamique coopérative pour aboutir à un réseau national cohérent et à des normes d’échange de l’information homogènes, les acteurs industriels comptent trouver leur salut dans une croissance effrénée pour atteindre une masse critique qui confère de facto à leurs solutions le statut de standard. Ces offensives sont menées à coup de partenariats ou de croissance externe. Les talents en matière de communication et de marketing sont ensuite susceptibles de faire le reste. La société Proxymed se présente par exemple comme l’opérateur du " Réseau National d’Informations Médicales " (ProxyNet), espérant fédérer l’ensemble des acteurs de santé autour de sa plate-forme de communication. Proxymed a par exemple signé début novembre un accord avec la filiale " Services aux laboratoires d’analyse " de Smithkline Beecham (SmithKline Beecham Clinical Laboratories, SBCL), spécialisée dans la gestion d’informations cliniques. Par cet accord, SB s’engage à utiliser le réseau ProxyNet. SBCL a par ailleurs conclu un accord avec Healtheon pour confier la gestion de ses systèmes logiciels à Actamed, filiale d’Healtheon. Par son choix, SBCL semble indiquer que Proxymed et Healtheon figurent bien parmi les opérateur de réseaux d’informations de santé pouvant prétendre à une position de leader dans les prochaines années.

Adoptant une démarche proche de celle de ProxyMed, le Professeur Silvio P. Eberhardt prépare le lancement d’une carte à puce médicale, sorte d’équivalent de la carte Vitale française. Cette carte, appelée KARLA, pourra être lue sur presque tous les ordinateurs, dès qu’ils seront équipés de lecteurs de cartes, ce que les constructeurs informatiques prévoient de faire prochainement pour favoriser le développement du commerce électronique. Le médecin pourra lire les informations contenues après les avoir décryptées et pourra mettre la carte à jour après chaque consultation. La carte porte l’ensemble du dossier médical du patient, et pas seulement le volet médical d’urgence (VIM) comme cela est prévu pour la carte Vitale 2. En effet, KARLA permet d’adresser automatiquement – et anonymement - les informations de pharmaco-vigilance aux laboratoires pharmaceutiques lorsqu’un problème survient.

Si la recomposition du paysage des éditeurs médicaux promet d’être animée, il est peu probable qu’une poignée de sociétés maîtriseront l’ensemble de la chaîne de l’information médicale et médico-économique aux Etats-Unis. Un monopole de type Wintel (Microsoft-Intel) semble inconcevable car les processus et les outils sont à la fois trop nombreux, trop lourds et trop complexes pour être concentrés sur quelques acteurs. Les analystes estiment qu’environ 500 sociétés occuperont le marché de l’informatique médicale dans quelques années. Ces sociétés auront acquis une taille plus importante, par fusion et par acquisition d’autres groupes. Elles auront appris à coopérer entre elles, autour d’une plate-forme Internet. Naturellement, le géant IBM espère lui aussi prendre part à cette réorganisation. Il présente ainsi une offre destinée à interconnecter tous les acteurs du système de santé, via un recours aux technologies Intranet.

En définitive, l’enjeu consiste aujourd’hui à fédérer les éditeurs médicaux autour d’une plate-forme commune. Les intervenants (éditeurs, sociétés de services, constructeurs, etc.) resteront relativement nombreux mais la fonction d’opérateur de réseaux d’informations de santé a, pour sa part, vocation à être concentrée dans les mains de quelques géants des télécommunications, voire d’un opérateur monopolistique.

Suite (3/5)

20  novembre 1998

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