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Novembre 1998

Comment réussir l'informatisation
des systèmes de santé ?

De la dématérialisation des feuilles de soins à la médecine électronique : comparaisons internationales

Laurent ALEXANDRE, Cédric TOURNAY,
Claude MALHURET
, Christophe CLEMENT,
Vincent REY DU BOISSIEU

20  novembre 1998
Suite (5/5)

 

Les internautes appellent de leurs vœux le développement d’une médecine électronique

Le développement des sites Web médicaux destinés au grand public n’en finit pas d’alimenter les discussions aux Etats-Unis. Nous avions présenté il y peu le succès de sites comme Mediconsult, Thriveonline ou Thepillbox. Le recours à l’Internet médical de la part des patients est devenu un phénomène de société, comme l’analyse un récent article de Businessweek.

Intitulé " Une cyber-révolte dans le système de soins ", l’article décrit comment les patients augmentent leur pouvoir par le recours au Web. Un nombre croissants de patients ou de proches de patients ont pris l’habitude d’utiliser l’Internet comme un outil d’information et de communication indispensable pour leur prise en charge. Sherry Messick, patiente atteinte de sclérodermie, racontait il y a quelques mois comment l’Internet lui avait permis de garder l’espoir d’une guérison et de continuer à vivre une vie sociale et intellectuelle à peu près normale : " Je comprends le sens des test sanguins et mes résultats d’analyses. Je suis capable de poser des questions pertinentes à mon médecin. Quand je suis déprimée, je dialogue sur le réseau avec des amis ou avec d’autres malades ". Soucieuse de faire partager son expérience, Sherry dispose maintenant de son propre site pour orienter les patients dans leurs recherches d’informations et pour susciter un rapprochement entre les personnes atteintes de cette affection.

La relation patient-praticien est en train d’évoluer à un rythme accéléré. Le grand public accède à des données que les praticiens n’ont pas pris le soin jusqu’à présent de diffuser et que parfois ils ne connaissent pas eux-mêmes. Ce faisant, l’accompagnement psychologique lui-même évolue. Dans leur majorité, les patients ne se satisfont plus d’un discours rassurant, ils souhaitent " la vérité pure et dure " sur leur maladie afin d’appréhender au mieux leur traitement et la suite de leur vie. Les exigences à l’égard des médecins en sont renforcées. Les praticiens sont désormais jugés par leurs patients, décidés à vérifier les compétences de leur médecin et le bien-fondé de ses décisions diagnostiques et thérapeutiques. Le marché du " second avis électronique " se développe à un rythme effréné aux Etats-Unis. Sur Mediconsult, les patients nouvellement diagnostiqués peuvent soumettre leur cas – documenté à l’extrême – aux grands patrons américains. De plus en plus, l’inclusion des patients dans des essais cliniques est organisée sur le Web et le recueil des données tend à basculer lui aussi sur l’Internet.

La santé est le prochain boom du Web. Au cours de 1998, 17 millions d’Américains ont consulté des sites médicaux sur le Web. Cela représente une croissance de 35 % par rapport à 1997. A l’échelle internationale, une récente enquête d’Intelliquest a montré que 46 % des internautes ont pris l’habitude d’aller chercher des informations sur le Web lorsqu’eux même ou quelqu’un de leur entourage est confronté à un problème médical.

Pour répondre à cette demande d’informations directement corrélée à une situation médicale personnelle ou familiale, un grand nombre de services se donnent pour ambition d’évaluer les structures de prise en charge et d’orienter les patients dans le système. Un site comme HealthCare ReportCards conseille les patients à la recherche d’un service de cardiologie. Le service attribue des étoiles (de 1 à 5) aux différents hôpitaux en fonction de leurs performances et de la qualité de leur accueil. HealthCareReportCards compte devenir le Michelin de l’hospitalisation aux Etats-Unis en étendant son expertise à d’autres domaines, comme la pneumologie, la cancérologie ou encore la neurochirurgie. Le même type de service existe pour sélectionner des médecins de ville. Le site DoctorDirectory, littéralement " l’annuaire de médecins ", permet ainsi au public américain de choisir son médecin. D’autres services sont également disponibles, comme le " Lifetime calculator" (calculateur d’espérance de vie), qui vous indique à partir d’un quizz votre espérance de vie.

Ces exemples montrent comment les sites Web médicaux peuvent devenir des machines à orienter les patients et à organiser leur prise en charge. Le site HealthCareReportCards est développé par un réseau de médecins, Specialty Care Network, implanté à Lakewood (Colorado). Ce groupe de médecins, regroupé au sein d’une société à but lucratif, a pu développé son guide des hôpitaux en achetant des informations auprès de la Health Care Financing Administration (HCFA), entité relevant du Ministère américain de la santé, le Department of Health and Human Services, en particulier les chiffres de mortalité par établissement et par type d’intervention. La société qui anime le site a même conçu un modèle pour pondérer les taux bruts de mortalité par la gravité des cas traités, grâce aux données de l’équivalent américain du PMSI. Le modèle distingue la mortalité directe, la mortalité à 30 jours (au sein ou en dehors de l’hôpital où a eu lieu l’intervention) et la mortalité à 6 mois. Environ 15 % des hôpitaux évalués sont considérés comme très bons (4 ou 5 étoiles) et 70 % des établissements comme bons (3 étoiles). Les animateurs du site espèrent le rentabiliser en vendant des bandeaux publicitaires aux hôpitaux, surtout ceux qui sont favorablement classés et qui, pour cette raison, seront donnés comme références aux visiteurs du site. Ce faisant, le service espère devenir un label de qualité. Ce mécanisme diffère largement de la situation française, où l’accréditation des structures et des services relevent naturellement des prérogatives des pouvoirs publics. Aux Etats-Unis, les acteurs de la société civile ont un accès libre aux informations et peuvent participer à l’évaluation des services.

L’importance de cette demande d’information suscite des appétits. De nouveaux services sont régulièrement lancés sur le Web pour offrir des informations médicales personnalisées aux patients, pour les aider à gérer leur " capital santé " via des systèmes de prévention, de dépistage et d’auto-prise en charge, pour orienter le patient dans le système de soins (quel hôpital choisir ? quelle police d’assurance ?) ou pour lui vendre des médicaments. D’après une étude de VentureOne, 120 millions de dollars (soit près de 600 millions de francs) ont été investis par les capitaux-risqueurs en 1997 et 1998 dans des sociétés en création spécialisées dans l’Internet médical.

Comme le reconnaît Anna-Lisa Silvestra, une des responsables de Kaiser-Permanente, le plus important HMO du pays : " l’introduction de l’informatique et des nouvelles technologies chez les professionnels de santé réussira parce que nos assurés le veulent ". Des opérateurs Internet sauront remplir le vide laissé par les médecins s’ils ne répondent pas à l’attente de leurs patients. Déjà, une jeune société, Lexant, prévoit de gérer le dossier médical des internautes sur le site du Dr.Koop. Le patient, aidé d’un assistant électronique, alimentera lui-même son dossier après chaque visite chez son médecin. Le service Internet auquel il aura adhéré s'occupera de récupérer ses résultats d'analyses et ses examens complémentaires. Dans un deuxième temps, l’opérateur Internet proposera aux patients un suivi personnalisé de leur dossier sur le long terme.

Kaiser-Permanente gère 9,2 millions de patients. Il est devenu impératif de leur proposer des services d’information adaptés à leurs besoins et à leurs usages. Ayant pris conscience de cette demande, Kaiser prévoit de lancer un site Web sécurisé permettant aux patients d’adresser des messages confidentiels à leurs médecins, à leur pharmacien ou à leur infirmière. Les patients pourront prendre des rendez-vous par voie électronique, demander des conseils ou encore renouveler par E-mail une ordonnance avant de passer la chercher à la pharmacie (ou de le recevoir à domicile). Kaiser et les professionnels de santé, pour leur part, s’engagent à répondre en moins de 24 heures à tous les courriers.

Les initiatives des HMO en matière de délivrance pharmaceutique via l’Internet obligent les intermédiaires à réfléchir à leur positionnement dans ce nouveau contexte technico-économique. Medco, filiale de Merck spécialisée dans la distribution pharmaceutique (répartition, mail order et disease management) ou PlanetRx, jeune société dédiée à la prise de commande sur l’Internet, réfléchissent d’ailleurs à l’évolution de l’offre destinée au grand public, aux pharmacies et aux organisations de soins. PlanetRx, dont le site ouvrira prochainement, a été créé par un groupe de médecins grâce à un investissement de 7 millions dollars (environ 35 millions de francs) consenti par un groupe de capitaux-risqueurs. Il est intéressant de noter que le Directeur général de PlanetRx, William J. Razzouk, est un ancien dirigeant de Federal Express, leader du transport de colis aux Etats-Unis. Les pharmacies électroniques ont vocation à s’intégrer en aval, c’est-à-dire dans les activités logistiques de distribution du médicament, soit directement, soit au travers de partenariats.

Dans tous les cas, le développement de ces services aura un impact sur la chaîne de la distribution pharmaceutique. Medco, fort de ses 51 millions de clients, a déjà réagi. Dès mars 98, ce PBM (Pharmacy Benefit Management) proposait aux patients de commander un renouvellement d’ordonnance via un site Web. Ce service permet aussi de suivre l’état d’une commande, quel que soit le moyen par lequel elle a été effectuée (mail, fax, téléphone). Parallèlement, Medco a conclu un accord avec Physicians Online pour équiper les pharmacies d’un logiciel nouveau, destiné à améliorer la communication entre les médecins et les pharmaciens. En couplant son réseau avec l’Intranet de Physicians Online, Medco propose aux médecins 3 fonctions principales : le renouvellement d’ordonnance, la modification d’une ordonnance ou l’établissement d’une ordonnance nouvelle. La modification d’ordonnance est susceptible d’intervenir lorsque le serveur de Medco détecte une optimisation possible de l’ordonnance transmise au pharmacien. Cette optimisation peut être thérapeutique (ex : le système propose un médicament d’une autre classe en fonction de la pathologie) ou économique (le système propose un générique à la place d’un médicament de marque). Dans tous les cas, le praticien reste libre de sa prescription. Ces échanges s’effectuent en temps réel et de façon sécurisée. Ils simplifient les tâches des pharmaciens et des médecins puisqu’ils permettent à Medco de traiter automatiquement les ordonnances qui passent par ce circuit plutôt que par le téléphone. En outre, cette communication électronique permet à l’opérateur d’effectuer un contrôle qualité des ordonnances lors de leur transmission du médecin au pharmacien (ex : détection automatique d’interactions).

Le service Rite Aid, pour sa part, va déjà un peu plus loin. En effet, il avertit les abonnés lorsque le renouvellement de leur ordonnance est nécessaire. Une façon, sans doute, de favoriser l’observance des traitements. Le Président de cette jeune société annonçait récemment que son site réalisait un chiffre d’affaires mensuel de 500 000 $, soit environ 2,5 millions de francs.

Le jeu est donc rebattu en matière de distribution pharmaceutique. Rien ne dit, d’ailleurs, que le marché doive se réorganiser autour des opérateurs Internet. Les chaînes de pharmacies, par exemple, ont l’opportunité de renforcer leur rôle dans le système de soins. Walgreens, une des principales chaînes d’officines américaines (2 500 pharmacies pour un chiffre d’affaires de 15 milliards de dollars) a déjà lancé son service Internet de commande en ligne. Là encore, les patients chroniques peuvent s’inscrire pour bénéficier de services personnalisés, dont le renouvellement automatique d’ordonnances. En fonction des prises théoriques, Walgreens prévoit le moment du renouvellement et prépare le lot. Le patient est alors prévenu. Il peut passer dans son magasin habituel, à moins qu’il ne préfère être livré.

Parmi les autres pharmacies électroniques en cours de déploiement, il convient de citer Drugstore.com, soutenu par la société Kleiner-Perkins et dirigé par Peter Neupert, ancien responsable des nouveaux médias chez Microsoft. Parmi l’équipe de direction figurent Andy Stergachis, professeur de pharmacologie à l’Université de Washington, et Tracy Nolan, ancien vice-présidente de Merck-Medco Managed care. Cet exemple explique un des mouvements de fond de l’Internet : la création de richesses et d’activités nouvelles repose sur l’essaimage de cadres supérieurs issus de grandes sociétés et désireux de tenter une aventure à partir d’une idée originale ou d’une technologie nouvelle. Alors que les capitaux disponibles pour le lancement d’activités sont relativement abondants aux Etats-Unis et que le mot " Internet " suffit à intéresser les investisseurs, un grand nombre d’idées peuvent être testées et déclinées de nombreuses manières. En Europe, ce dynamisme est beaucoup moins important, si bien que les structures actuelles évoluent beaucoup plus lentement – d’autant que le public des internautes reste plus faible qu’aux Etats-Unis.

La pression exercée par les patients sur les professionnels de santé fera sans doute évoluer le système plus rapidement qu’il n’y paraît. Les organisations de soins et les assureurs redoutent de se trouver marginalisés s’ils ne parviennent pas à négocier le virage Internet avec suffisamment de rapidité et d’inventivité. Déjà, les HMO retardataires perdent des adhérents ou enregistrent des taux de satisfaction en diminution constante. Quand ils ne proposent pas de services spécifiques, leurs assurés s’abonnent à des sites médicaux lancés par des franc-tireurs. Health Oasis, initié par la Mayo Clinic et dont l’audience est passée de 55 000 visites en janvier 98 à 800 000 en août, BetterHealth et Dr.Koop sont quelques-uns des sites qui ont su le mieux répondre à cette demande nouvelle d’accompagnement. Ces services se trouvent aujourd’hui en position de force pour négocier certaines prestations avec les HMO de leurs visiteurs. On leur demande en effet d’assurer des campagnes de dépistage ou de prévention ainsi que des enquêtes pour le compte des organisations médicales, qui comptent sur la popularité de ces sites et sur la confiance qu’ils ont su susciter pour masquer leurs propres faiblesses. En somme, les organisations qui ne parviennent pas à devenir des organisations médiatiques devront prochainement apprendre à vivre avec de nouveaux intermédiaires, qui ont su occuper les segments émergents – et à forte valeur ajoutée – de la chaîne de valeur en santé.

Aujourd’hui, par exemple, seulement 1 ou 2 % des praticiens américains donnent à leurs patients la possibilité de les contacter par E-mail, selon une étude récemment publiée dans JAMA par Tom Ferguson. Naturellement, ce type de communication soulève des interrogations concernant la responsabilité du médecin ou le risque d’erreur médicale. Quoi qu’il en soit, l’échange de courriers électronique entre patients et praticiens a vocation à se développer, sous la pression des assurés sociaux, relayés par des organisations de soins soucieuses d’apporter à leurs adhérents les services qu’ils demandent et commencent à mettre en œuvre de façon spontanée.

Le poids des seniors sur le réseau est un autre facteur d’explication du développement de l’Internet médical. Les internautes âgés de 60 ans et plus représente environ 15 % des utilisateurs du réseau sur le plan international. Ces internautes passent en moyenne plus de temps sur le Web que les autres Internautes, disposent d’un pouvoir d’achat supérieur et sont davantage intéressés par les questions relatives à leur santé. Ils constituent un bataillon important dans le développement du consumérisme médical. L’Agence New-Yorkaise pour les personnes âgées vient ainsi de développer un site dédié au 3° âge, avec le soutien du laboratoire Glaxo-Wellcome. Ce site, Aging Well (" Bien vieillir ") délivre tous types d’informations concernant les problèmes liés au vieillissement.

Naturellement, des cybercouacs sont à prévoir. D’abord, des atteintes à la confidentialité pourraient advenir si les protections requises ne sont pas mies en œuvre par tous les acteurs du secteur. Ensuite, le pire côtoie le meilleur sur le Web médical, sans que les patients ne sachent toujours trouver le bon chemin. Il est vrai qu’il existe aujourd’hui plus de 15 000 sites médicaux dans le monde. Certes, des labels commencent à être reconnus, comme celui décerné par la Fondation Health On the Net. Le Ministère américain de la Santé a même décidé de lancer son propre service pour orienter les patients. Ce site, Scipich, est présenté en détail dans notre rubrique " Site du mois".

La difficile informatisation des professionnels de santé comparée à l’essor du Web médical grand public fait aujourd’hui surgir une question : en quoi le développement des nouvelles technologies dans le monde de la santé profitera-t-il aux patients ? Aux Etats-Unis, le grand public est d’autant moins enclin à soutenir les efforts en faveur de l’informatisation " officielle " - c’est-à-dire contrôlée par les HMO et leurs éditeurs attitrés, que chacun pressent que celle-ci profitera d’abord aux politiques de managed care strictes. Soucieux de retrouver des espaces de liberté et d’écoute, les patients voient d’un mauvais œil l’informatisation d’un système dans lequel ils n’ont plus confiance.

Si les systèmes d’information ne sont pas développés dans une logique de santé publique, ils échoueront. Patients et médecins les soutiendront s’ils sont dédiés à la prise en charge de la douleur, à l’accompagnement global des patients, au dépistage, à la prévention, à l’évaluation de la qualité des soins et de la qualité de vie.

Healtheon comptait se développer grâce aux processus de gestion complexes qui définissent le managed care. Chaque HMO, en effet, décide quel traitement doit être appliqué pour quel patient dans quelles circonstances. Healtheon espérait automatiser la gestion de ces guidelines par les médecins et le contrôle de leur respect par les organisation de soins et les assureurs. Tout à sa recherche de productivité et d’efficience médico-administrative, Healtheon ne s’est pas impliqué plus en amont dans des processus épidémiologiques et médicaux pour définir la pertinence de ces guidelines et le bénéfice pour le patient (dans une logique d’Evidence Base Medicine). Les outils informatiques concentrent souvent les griefs exprimés à l’encontre des systèmes de soins, comme cela est aujourd’hui le cas au Royaume-Uni. Le succès des systèmes d’information médicaux dépend donc de leur capacité à incarner le changement au service du public et des professionnels.

Dans cette perspective, les acteurs institutionnels et industriels ne doivent pas confondre leurs objectifs ou céder à une vision monolitique des systèmes d’informations médicaux. Healtheon voulait inclure les patients dans sa plate-forme en leur permettant d’accéder à des consultations sécurisées de leur médecin et d’accéder à des banques d’information médicales. Or, tous ces services existent déjà, mais sur le Web ! une nouvelle fois, le réseau public révèle un dynamisme très supérieur aux systèmes développés par les acteurs institutionnels du monde de la santé. Le télédiagnostic, la domotique médicale et le suivi à distance de patients chroniques se développent avec des technologies standards (le cryptage, par exemple, s’est banalisé en moins de 2 ans grâce au protocole SSL de Netscape, placé derrière le cadenas visible sur la barre d’outils de Navigator). Ces activités ont été développées par une multitude d’acteurs et selon une logique décentralisée. C’est le cas du médecin indiquant à son patient comment lui envoyer par mail ses relevés glycémiques tirés de son lecteur. Progressivement, des applications plus complexes sont assimilées par les acteurs de la société civile, grâce à des outils mis à disposition par de petites entreprises ultra-spécialisées. La société Home Access Health, commercialise par exemple un kit pour réaliser des tests de dépistage HIV à domicile. Elle propose également d’autres services de télémédecine, comme les analyses glycémiques à distance.

Les caractéristiques dynamiques de l’Internet continuent donc de jouer à fond, même si Jim Clark semble l’avoir oublié. L’Internet n’est pas clément pour ses enfants : le leader d’une vague (les navigateurs graphiques pour Jim Clark) peuvent être balayés dans les mouvements ultérieurs par manque d’imagination ou de clairvoyance (parfois par leur propres enfants : la plate-forme d’Healtheon perd de sa pertinence car les outils de sécurisation mis sur le marché par Netscape permettent à tout un chacun de constituer sa propre plate-forme sécurisée).

Certes, la communication électronique entre médecins et patients ne va pas sans poser quelques problèmes. La Harvard Medical School de Boston a conduit récemment, en collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology, une étude sur l’utilisation du
E-mail entre praticiens et patients. Les résultats de cette étude sont parus dans le numéro de septembre de la revue Annals of internal medicine. Ils révèlent, sans surprise, que le courrier électronique n’est pas adapté aux situations d’urgence et qu’il convient de ne pas l’utiliser lorsqu’il faut annoncer des informations graves aux patients ou des résultats complexes à expliquer. En revanche, le courrier électronique apparaît comme un outil parfaitement adapté à une communication régulière avec le patient, pour lui apporter des conseils, répondre à des questions de routine ou organiser les rendez-vous. En conclusion, les auteurs de l’étude plaident pour l’application de la loi de 1996 (Health portability Act), convaincus que l’adoption d’identifiants nationaux pour les assurés sociaux est nécessaire pour garantir la confidentialité des échanges médicaux par une authentification forte, qui s’ajouterait au cryptage que mettent déjà en œuvre les sites médicaux. Les auteurs de l’étude craignent également que les services médicaux en ligne ne creusent un peu plus l’inégalité entre citoyens en matière d’accès aux soins puisque les conditions matérielles et culturelles de connexion à l’Internet dépendent fortement du revenu et de la catégorie socioprofessionnelle des individus. Si le développement d’un secteur santé électronique s’accompagne d’une réduction des infrastructures sanitaires " réelles " ou d’une moindre disponibilité des soignants, alors la collectivité américaine aura creusé le fossé entre les patients qui peuvent recourir aux services Internet pour optimiser les conditions de leur prise en charge et les plus démunis, qui attendent déjà de bénéficier d’une assistance médico-sociale élémentaire. Les médecins qui ont conduit l’étude font toutefois preuve d’un optimisme typique de l’Amérique de cette fin de siècle. Empreints d’une confiance totale envers le progrès technologique et sa diffusion naturelle dans l’ensemble du corps social, ils ne doutent pas que les populations défavorisées pourront bientôt avoir accès aux moyens modernes de communication, dont les prix baissent structurellement et dont l’usage devient de plus en plus aisé. Dans cette perspective, ils encouragent les établissements de soins à faire preuve d’une attention particulière en matière de design : les sites doivent être simples, plutôt graphiques que textuels, avec une navigation intuitive, pour que tous les publics puissent tirer bénéfice des informations et des services qui y sont proposés. On le voit, la réflexion sur le média est particulièrement avancée aux Etats-Unis, où les conditions de mise en forme et de diffusion de l’information sont réfléchies publiquement, en tenant compte de l’impact social de l’Internet et des usages médiatiques de la collectivité.

L’affirmation de l’Internet médical comme colonne vertébrale de la communication en santé est désormais une certitude. Une offre de services et de produits de plus en plus riche et sophistiqués émerge, encouragée maintenant par l’ensemble des acteurs institutionnels et industriels. Intel, le leader mondial des microprocesseurs, a par exemple décidé d’investir dans ce secteur qu’il considère sous-informatisé. Pour les dirigeants d’Intel, le développement des applications médicales sur les réseaux Internet/Intranet favorisera la vente d’ordinateurs, donc la vente de puces. Le 27 octobre, Andy Grove en personne, Président d’Intel, lançait à San Francisco " l’initiative Intel en faveur de l’Internet médical ", entouré d’un parterre de professionnels de santé. La compagnie ambitionne d’investir dans une douzaine de sociétés spécialisées dans le Web médical : gestion de patients chroniques à distance, vente en ligne de vitamines ou de kits prénataux, diffusion d’informations médicales auprès du grand public, etc. Intel mettra sa force de frappe marketing au service de ces jeunes entreprises pour que leurs activités deviennent un bien de consommation courant. Intel a notamment conclu un accord avec la société LifeMasters Supported SelfCare, qui commercialise un système de suivi en ligne des patients diabétiques ou hypertendus. Cette plate-forme oriente les patients vers des professionnels de santé en fonction de l’évolution de leur état. Dans cette vaste offensive, les dirigeants d’Intel souhaite que le vocable " e-health " (la santé électronique) devienne aussi courant que le slogan " e-commerce " (commerce électronique). Une fois cette objectif de popularité atteint, les services médicaux sur le Web occuperont une place croissante dans la vie du public, pour le bonheur des marchands d’ordinateurs et de microprocesseurs.

Une large partie des services médicaux en cours d’apparition sur le Web sont gratuits pour les patients et les professionnels de santé. Leur fonctionnement est solvabilisé indirectement, grâce au soutien de l’industrie pharmaceutique. Selon une étude récemment publiée par Jupiter Communications, la publicité médicale sur le Web devrait représenter un chiffre d’affaires mondial de 265 millions de dollars en 2002 (soit environ 1,525 milliards de francs). La moitié de ce budget sera alors représenté par les campagnes menées par les laboratoires pharmaceutiques en direction des patients. Comme le montre l’étude, le développement de l’Internet médical aux Etats-Unis est fortement favorisé par le manque de satisfaction qu’éprouvent les Américains à l’égard de leurs systèmes de managed care.

La situation indique que la consommation de biens de santé tend à augmenter dans les pays de l’OCDE selon un rythme supérieur à la croissance du PIB. Quel que soit le modèle de système adopté (système libéral et concurrentiel, système étatique), les patients sont demandeurs d’un suivi de plus en plus important de leur " capital santé ". S’ils ne trouvent pas dans le système traditionnel l’écoute et les services qu’ils attendent, ils sont prêts à recourir à des prestations équivalentes sur l’Internet. Le Web devient progressivement un espace complémentaire des infrastructures sanitaires et un indicateur de leurs lacunes. Par son succès, cet espace de suivi convivial et personnalisé des patients concentre des enjeux plus importants qu’on ne l’imaginait il y a encore 2 ans, offrant des biens de substitution à certains actes médico-sociaux. Ce faisant, l’Internet médical est devenu le lieu où se lit l’avenir des systèmes de soins occidentaux.

 

 

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